A BEAUTIFUL DAY IN THE NEIGHBORDHOOD

2 octobre 2020

(Bonjour voisin, titre utilisé en français au Québec. Aussi: Un ami extraordinaire; L’Extraordinaire Mr. Rogers)

Il y a seulement une décennie, notre paysage médiatique était très différent de ce qu’il est aujourd’hui, alors qu’il apparaît maintenant rempli de partisannerie, de cruauté et de fureur. Ce film nous offre un aperçu de jusqu’à quel point nous nous sommes éloignés d’une période plus paisible.

Un drame américain de 2019, réalisé par Marielle Heller, avec Matthew Rhys et Tom Hanks. Hanks a été nominé dans différents festivals pour le meilleur second rôle pour ce film, au début de 2020. Débutant au festival international du film de Toronto en septembre 2019, le film a été encensé autant par la critique que par le public. Il a été nommé l’un des meilleurs films de 2019 par le magazine Time.

INTRODUCTION

L’histoire, basée essentiellement sur des évènements réels, tourne autour de Lloyd Vogel (nom fictif), un journaliste pour le magazine Esquire dans les années 1970 et 1980 ayant pour projet d’écrire un article à propos de Fred Rogers, animateur d’une populaire émission pour enfants, dont la gentillesse et l’empathie sont les principaux ingrédients. Vogel est un journaliste assez agressif, à un point tel que la plupart de ses prospectifs sujets d’entrevues rejettent ses invitations d’entretiens. En effet, Vogel cherche à connaître les héros populaires dans le but de révéler pourquoi ils ne sont pas, en réalité, dignes de leurs auréoles.

(Ceci est une alerte aux divulgâcheurs : ne pas lire cette section si vous souhaitez connaître l’histoire uniquement lors du visionnement du film)

Alors que le but initial et inavoué de Vogel consistait à remettre en question le mérite de ces héros populaires, il doit modifier cet objectif de départ puisque ce qu’il voit dans le vrai Monsieur Rogers est quelqu’un qui est empathique et authentiquement généreux, autant devant que derrière la caméra. Ceci surprend quelque peu Vogel. Plus encore, le sympathique Mr. Rogers aide Vogel avec certaines de ses difficultés personnelles. La relation du journaliste avec son père (Jerry) est en effet tendue, à un point tel que le père et le fils en viennent aux poings lors de la cérémonie de mariage de la sœur de Lloyd. Plus tard, alors que le père et le fils se disputent à propos de la négligence du père de Lloyd lors de la maladie de son épouse, la mère de Lloyd, en phase terminale plusieurs années avant, Jerry est victime d’une crise cardiaque. Au début, Lloyd refuse de visiter son père en convalescence à l’hôpital. Mais l’animateur Fred Rogers étend sa diplomatie et sa gentillesse par-delà son émission de télévision et intervient lui-même afin de réparer la relation entre père et fils, juste avant la mort de Jerry.

L’article de Lloyd sur Rogers finit ainsi par être, comme on peut le supposer, une histoire de générosité et de gentillesse, devenant la une de cette édition d’Esquire.

L’ANALYSE DU MOVIE SHRINK

Autant de gentillesse, d’échanges véritables et de dévouement aux autres nous apparaissent, dans la décennie 2010-2020, tellement différents de ce que nous connaissons sur les médias aujourd’hui ! Au point d’apparaître vraiment étranges.

Qu’est-ce qui, en effet, nous a envahis dans le monde des médias dans les cinquante dernières années qui rend ce film si particulier ?

Malheureusement, l’analyste canadien des médias Marshall McLuhan n’est plus avec nous aujourd’hui afin de démêler un monde médiatique qui nous apparaît souvent comme un chaos cacophonique : autant de partisanerie, d’opinions unilatérales, d’expressions provocantes, d’impolitesse, de simple méchanceté, de coups mesquins et même de cruauté. Des exemples abondent même dans les plus hautes sphères du politique où des artistes de Twitter sont pressés de dénigrer leurs opposants par des gazouillis partisans et souvent méchants.

Qu’est-il donc arrivé dans les dernières décennies ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il ne semble pas possible d’identifier une réponse unique à un phénomène si complexe et multidimensionnel. Mais, après réflexions, nous disposons de quelques éléments afin de nous aider à comprendre.

Premièrement, l’échelle contemporaine dans laquelle nous évoluons n’est plus dominée, et de moins en moins, par les contours de notre quartier, où il était possible de rencontrer, en chair et en os, des individus professant des opinions contraires aux nôtres. Cette possibilité, de plus en plus rare, nous rendait hésitant à prononcer des énoncés à l’emporte-pièce, qui auraient pu choquer ou blesser notre interlocuteur. Maintenant, nous pouvons argumenter avec (et généralement contre) des individus que nous avons peu de chance de rencontrer face à face. Plus encore, nous pouvons désormais, sur internet, rencontrer des gens qui sont parfaitement en accord avec nos visions idiosyncrasiques des choses, qu’elles soient politiques, morales ou sociales. Ce qui se situe à l’extérieur de cette zone de confort est simplement rejeté comme étant du fake news, une fausse nouvelle.

Et dès lors, ce n’est pas tant la télévision qui a changé, bien qu’elle l’ait, mais le paysage médiatique général. L’environnement médiatique est désormais plein de chaînes diverses, de l’internet, des réseaux sociaux, d’agressives émissions de radio, de programmes télévisés partisans. Face à ces médiums changeants, l’émission de Monsieur Rogers nous apparaît comme un conte de fées. Nous avons besoin d’un conte de fées, si ce n’est que pour nous aider à réfléchir à notre condition actuelle.

Comme McLuhan l’a noté dans les années 1970, des éléments technologiques doivent également être pris en compte pour « comprendre les médias » (le titre d’un de ses livres). Il a ainsi proposé une distinction entre des médias « chauds » et médias « froids ». Les médias « froids » sont de basse définition, au sens technique, comme la télévision avant la haute définition, où l’image pauvrement définie suscitait des réponses cognitives, dans une réelle interaction avec l’écran de télévision. Se trouvent, à l’autre extrémité du continuum, les médias « chauds », tels que la radio, où le message, cognitivement, apparaît complet et sans ambiguïtés. La radio est plus présente dans des situations fortement partisanes et conflictuelles, comme, historiquement, la Seconde Guerre mondiale, notamment en Allemagne, et, plus récemment, dans certains conflits tribaux africains. Il semble, dans les termes de McLuhan, que notre univers médiatique est devenu terriblement chaud. La radio-poubelle en est l’exemple le plus parlant, mais cette atmosphère surchauffée se retrouve partout dans notre univers médiatique. Le ton du président américain (2016-2020) est à la fois un exemple et une cause de la croissance du phénomène.

LA SOCIÉTÉ DERRIÈRE L’ÉCRAN

C’est une chose que de comprendre certains des éléments présents dans notre situation médiatique. C’en est une tout autre d’entrevoir comment nous pouvons pousser cette réflexion plus loin, jusqu’au point de contempler des alternatives, des débuts de solutions.

La première réaction, vis-à-vis cet univers médiatique surchauffé, consiste à tenter de devenir insensible à ses excès. Il est désormais de plus en plus fréquent de voir des politiciens et des artistes rejeter toute la haine qu’ils rencontrent sur le web en l’ignorant ou en la considérant comme un genre de « coût de faire des affaires », un coût d’opérations. Après tout, nous ne porterions pas trop d’attention aux élucubrations d’adolescents faisant des commentaires impolis et non vérifiés dans le sous-sol de leurs parents. Pourquoi, alors, se préoccuper d’individus qui « n’ont pas de vie », selon l’expression consacrée ?

Une autre alternative consiste à s’assurer que ce qui se retrouve sur internet soit plus facilement identifiable quant à sa source, ce qui pourrait être une manière de revenir à l’effet naturel et salutaire des vraies rencontres interactives « en présentiel ». Ce ne serait pas aussi idéal que le quartier fictif de Monsieur Rogers, mais ce serait un pas dans la bonne direction.

Notre site est fondé sur l’idée que les films sont ultimement reliés à notre présent, même s’ils mettent en scène une autre époque. Le quartier idéalisé de Monsieur Rogers nous sert ainsi à mesurer notre situation présente. Nous avons besoin d’un univers médiatique plus civilisé. Si Lloyd Vogel pouvait changer son projet il y a quelques décennies, pourquoi pas nous, aujourd’hui ?

Traductions de l’anglais : Georges Mercier