TITANE

1 décembre 2021

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Ce film, qui a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2021, ne laisse personne indifférent. Il peut causer un certain malaise à son visionnement. Son aspect violent et son invraisemblance ont-ils un sens, ou doit-on simplement, sagement, ne pas en chercher, comme semble le suggérer d’ailleurs la réalisatrice ?

Drame, doublé d’un film d’horreur, qui est réalisé et écrit par la Française Julia Ducournau, a reçu la Palme d’Or à Cannes en 2021.

L’HISTOIRE

Il s’agit de l’histoire invraisemblable d’une tueuse qui est par ailleurs en proie à une grossesse effrayante, suite à des ébats sexuels avec …..une automobile. L’héroïne, dans sa fuite pour échapper aux forces policières, prend l’identité d’un jeune homme disparu depuis dix ans, et, en transformant radicalement son apparence, prétend être ce fils perdu auprès du père du disparu, trop content de retrouver son fils bien aimé. Dans des développements des plus bizarres, les deux participants à la supercherie (la tueuse et le père trompé) à laquelle ils ont tous deux leurs raisons de croire, se rapprochent dans le cadre de l’accouchement qui approche. Sans oublier que, dû à l’origine de l’un des deux parents (l’automobile…), il y a de l’huile de moteur qui coule (qui remplace vraisemblablement le sang) à l’approche de l’accouchement.

COMPRENDRE… OU NE PAS CHERCHER À COMPRENDRE ?

On peut, très sagement, ne pas chercher à comprendre les dessous de ce film, son sens. Mais, quand même, que se passe-t-il aujourd’hui qui fait qu’on peut raconter une telle histoire ? Par ailleurs, il semble que plusieurs cinéphiles avertis ne cherchent pas à comprendre un tel film et que de le faire suggère une culture cinématographique déficiente ou « primaire » et peu sophistiquée.

C’est ainsi que Mark Feeny, du Boston Globe, voit les choses : « Ce film fait-il du sens ? Non » Et Cody Corral, du Chicago Reader, abonde dans le même sens : « Titane will not give you the answers to your questions », écrit-il.

Dans le même esprit, Marc-André Lussier de La Presse précise qu’il s’agit d’un film de genre, ce qui dispense probablement de le regarder comme porteur de sens. Il faut le regarder, peut-on ajouter, comme un élément esthétique, une création de son auteur, de la même façon qu’on ne cherche pas à trouver un sens « linéaire » et logique dans les tableaux de Picasso, même si on peut en trouver parfois, comme dans Guernica (1937), un tableau sur la guerre civile espagnole.

D’ailleurs, la réalisatrice semble réfractaire à cette quête de sens pour son film. En entrevue, Julia Ducournau affirme ne pas vouloir définir son film, « qui existe en lui-même », ajoute-t-elle. Coquetterie de la réalisatrice, qui ajoute encore au mystère du film ?

CHERCHER DU SENS, QUAND MÊME

Au risque de passer comme un cinéphile primaire et non averti, on peut chercher quand même à voir quelque chose de notre époque dans ce film.

Marc-André Lussier nous propose un point de départ, en disant que le propos du film est peut-être de tout décloisonner. Autrement dit, le film aurait une portée cognitive, un choc pour brasser les catégories et les schèmes mentaux habituels. Cela serait donc beaucoup plus difficile à comprendre ou à saisir, à travers justement les schèmes mentaux qu’on vise à déconstruire. Le fait de chercher un sens au film, une mise à plat, serait donc en contradiction avec le propos même du film.

Pourrait-il y avoir, par contre, une autre dimension, plus traditionnelle, disons, mais qui irait dans le même sens que l’hypothèse cognitive ?

En cette époque où l’on avance que les structures mentales et cognitives cachent des relations de pouvoir, peut-on penser que ce « brassage » de catégories et de logique correspond à une entreprise de modification des relations de pouvoir ? Qui a intérêt à brasser ainsi la cage de nos perceptions ?

Comme le film ne nous suggère pas une interprétation de type conflits d’intérêts économiques, il reste qu’une composante féministe n’est pas à écarter, même si elle n’est pas du tout avancée par la réalisatrice. Il y quand même procréation sans l’apport de la composante mâle « habituelle », dans la première partie du film. Et la seconde partie du film se centre sur cette même héroïne qui change de genre, du moins en apparence, et tente de se faire passer pour un mâle.

On pourra penser que ces interprétations sont abusives, non pertinentes ou invraisemblables. Mais de dire qu’un film de cette envergure n’a aucune assise sociale est tout autant invraisemblable. Les opinions de la réalisatrice sont éclairantes et importantes, y inclus son souhait apparent de ne pas trop interpréter son œuvre, mais un analyste des dynamiques sociales des films n’y est pas assujetti. Nous sommes tous portés par des courants dont nous ne sommes pas pleinement conscients, créateurs, analystes et artistes inclus.

P.S. : Le fait que plusieurs films européens récents aient pour thème des morts ou des disparitions d’enfants (en plus de Titane, on peut mentionner Koko-Di Koko-Da, Lamb et Ma Zoé) est une question qui est intéressante mais pas claire, du moins pour le moment.