US

20 juin 2020

(Titre québécois : Nous)

Suivant l’important succès critique et populaire de son film Get Out, n’importe quel film de Jordan Peele nous porterait à croire qu’il a pour objet l’intégration (ou le manque d’intégration) des Noirs dans la société américaine. Cependant, dans ce film, ce thème est moins explicite, et il est possible que son thème plus fondamental concerne ceux que l’on peut décrire comme les « oubliés », ceux qui se trouvent, en quelque sorte, sous terre, underground, qu’ils soient noirs ou blancs.

Suspense d’épouvante-film d’horreur, écrit et réalisé par Jordan Peele. États-Unis 2019.

INTRODUCTION

Avec son précédent film, Get Out, Jordan Peele avait dépassé toutes les attentes, gagnant l’estime autant de la critique que du public.

Avec le plus récent Us, les attentes étaient, comme on pouvait s’y attendre, élévées. Et, évidemment, comme l’explique Peele en entrevue, le financement de ce film était plus facile à réaliser, et le tournage conséquemment plus aisé.

L’HISTOIRE

(ceci est une alerte aux divulgâcheurs : ne pas lire cette section si vous souhaitez connaître l’histoire uniquement lors du visionnement du film).

Les Wilson, famille afro-américaine prospère de quatre incluant deux adolescents (ou préadolescents), se rendent à la ville balnéaire de Santa Cruz, afin d’y passer les vacances d’été dans la résidence secondaire familiale.

Tout semble au départ assez normal. Toutefois, durant la soirée, une famille étrange les observe de l’extérieur. Il s’avère que cette famille est en tout point similaire aux Wilson, chacun des membres du ménage faisant face à son exacte copie, alors que la famille envahissante terrorise l’originale.

L’ANALYSE DU MOVIE SHRINK

Le film Get Out, un film énigmatique du même réalisateur, suscitait l’interprétation. L’histoire de noirs invités dans une famille blanche en vue de fournir plus tard, à leur insu, des organes de transplantation pour des personnes blanches, suggérait que si les noirs paraissaient parfois intégrés dans l’Amérique contemporaine, c’était souvent dans des rôles très spécialisés et limités. L’on pense ici spontanément aux succès spectaculaires des artistes et des figures sportives afro-américaines.

Mais l’interprétation du plus récent Us de Jordan Peele n’est pas aussi facilement réductible à une histoire à propos des défis de l’intégration si ce n’est que parce que la famille voisine des Wilson, une famille blanche, fait face au même défi, à savoir se défendre d’une famille en tout point identique à la leur, qui les envahit , violente et dangereuse.

Le film se poursuit en montrant une invasion généralisée d’une multitude d’autres personnes attaquant la ville balnéaire, formant éventuellement une chaîne humaine à travers les États-Unis, d’ouest en est. Le film avait débuté par des remarques intrigantes à propos de tunnels souterrains oubliés, tels que des lignes de métro abandonnées et d’autres infrastructures municipales ou publiques, situées sous terre.

Les familles envahissant la ville sont-elles reliées, d’une certaine manière, à ces infrastructures oubliées dont parle le film en ouverture ? On doit interpréter ici afin de bien comprendre. L’éléphant derrière le film n’est ici pas aussi facile à identifier que dans Get Out. Ce n’est pas à propos de l’intégration des noirs aux États-Unis, du moins pas uniquement.

Dans nos capsules portant sur l’interprétation et la compréhension des films, nous avons soutenu que les opinions du créateur du film à propos de son propre film ne constituaient pas nécessairement un guide certain quant au message véhiculé par le film, puisque se trouve dans le processus de création un certain élément inconscient et puisque la création d’une véritable œuvre d’art échappe aux intentions de son créateur. Dans ce cas précis, toutefois, il serait intéressant de connaître davantage les sentiments de Peel par rapport à son film.

L’ÉLÉPHANT DERRIÈRE LE FILM

Un film créé par un réalisateur noir reflète-t-il nécessairement une perspective noire ? Dans la même veine, un film créé par une femme reflète-t-il nécessairement une perspective féministe ? Après tout, concluons-nous qu’un film créé par un réalisateur blanc propose nécessairement l’histoire de l’Amérique mâle et blanche ? Pas nécessairement. D’un autre côté, les films réalisés par des noirs et des femmes aujourd’hui, constituant toujours l’exception à la règle, forment peut-être une catégorie spéciale, à ce moment de l’histoire, et peuvent se révéler particulièrement révélateurs d’une certaine perspective. Et ainsi, d’une certaine manière, Mary, Queen of Scots, The Favorite et Second Career reflètent nécessairement une perspective féministe et Moonlight, If Beagle Street Could Speak et Get Out reflètent nécessairement une perspective noire. Des mouvements tectoniques sont à l’œuvre sous nos pieds et nous les sentons tous, d’une manière ou d’une autre, mais certains sont mieux situés que d’autres pour les mettre en lumière.

Pour revenir à Us, il est possible que le film fasse référence à tous les oubliés, à tous les dépossédés de ce monde, ceux qui sont laissés pour compte : que ces soit des femmes, des hommes, des noirs et des blancs, qui vivent sous terre, mais qui souhaitent retrouver la lumière, et tourner le dos à l’obscurité et à la noirceur. Ils ont été ignorés, laissés sous terre et, avec le temps, oubliés. Bien entendu, ils sont furieux, agressifs et dangereux. Mais leur faire face de plein front nous libérera tous : eux qui vivent sous terre, nous qui vivons sur terre. Nous sommes eux, ils sont nous, mais selon différentes dimensions. « Ils » peuvent très bien constituer différentes dimensions de « nous » ( Us ).

Ce n’est qu’une fois qu’ils sont sortis de leurs souterrains, et reconnus, qu’une chaîne humaine pourra nous unir tous, après que nous aurons confronté nos démons, tous différents, mais étrangement similaires. C’est bien entendu une sorte de happy end, idéalisé, mais qui aura nécessité par ailleurs des passages plus difficiles.

Traductions de l’anglais : Georges Mercier