UNE REVUE DES FILMS DE 2021

24 février 2022

Les films qui attirent de l’intérêt dans cette saison des nominations et des prix pour les films de 2021 se situent souvent dans la continuité des films des dernières années, avec parfois des angles nouveaux et inédits.

Commençons par la continuité.

D’ABORD LA CONTINUITÉ

Dans la plupart des cas, la continuité se manifeste par la présence de films qui sont dans la foulée des films récents du pays ou du continent où ils se trouvent.

C’est ainsi que les films de l’Europe de l’Ouest continuent d’explorer des thèmes qui sont résolument post-modernes, au sens où leur thématique ne concerne pas tellement des questions de conflit, de survie immédiate ou de difficultés économiques, mais plutôt des questions de choix de style de vie et d’autres préoccupations liées à des sociétés relativement prospères. C’est en bonne partie le cas avec le film espagnol de Pedro Almodovar, Mères Parallèles, qui raconte essentiellement deux histoires, une première sur des choix que font des femmes devant la maternité et une deuxième histoire sur la recherche d’une forme de réconciliation avec les horreurs de la guerre civile espagnole des années 1930-1940. Le choix de réaliser cette dernière réconciliation ne peut se faire dans une société tout entière absorbée par la survie économique immédiate.

Dans le même esprit que dans Mères Parallèles, d’autres films de 2021 se penchent sur des choix individuels en matière de relations de couple, comme dans cet autre film de 2021, norvégien celui-là, Julie en 12 chapitres, dans lequel l’héroïne doit choisir entre différents styles de vie qui sont possibles pour elle. C’est dans le même cadre de choix personnels, plus professionnels ceux-là, qu’on raconte le parcours professionnel de France, l’héroïne, une star des plateaux de télévision française.

Ces thématiques, que nous appelons ici post-modernes, avec tous les risques que cela peut comporter, se situent dans la lignée de plusieurs films européens des dernières années, comme les films Alcootest (2020), film scandinave celui-là, racontant une tentative de la part d’enseignants pour augmenter leurs performances à travers une consommation plus régulière d’alcool, ou Femme en guerre (2018), à propos d’une femme qui tente à elle seule, dans un cadre souvent humoristique, de faire échec à un projet énergétique qu’elle considère nuisible à l’environnement de son pays, l’Islande. Ce sont peut-être des sujets importants que ceux-là, mais pas des sujets qui menacent une survie immédiate dans un contexte de rareté ambiante.

On peut donc dire que les films qu’on vient de mentionner continuent, chacun à leur manière, la tendance des films européens récents à s’attaquer à des thèmes qui dépassent de beaucoup des défis plus traditionnels. C’était le cas avec les films qui les ont précédés un peu plus tôt, comme Le Mariage de Rosa (2020), un film espagnol qui raconte l’histoire d’une femme dans la quarantaine qui décide de … s’épouser elle-même.

Certains films européens récents se penchent sur un thème quelque peu énigmatique, soit la mort ou la disparition de jeunes enfants. C’est le cas cette année, avec le film Titane, de même que le film Mères parallèles, qu’on a mentionné plus haut, suivant en cela cette thématique qui se trouvait aussi dans plusieurs films européens récents, comme Lamb (2020), Koko-Di Koko-Da (2020) et Ma Zoé (2019). Le sens de cette thématique n’est pas clair, même pour quelqu’un qui tente de la comprendre, mais la première phase d’une interprétation est de remarquer la présence d’un thème qui ne peut être ignoré.

En dehors des films européens, on a affaire à des défis plus immédiats, qui peuvent être menaçants à court terme.

Rejoignant, donc, des thématiques moins énigmatiques et plus immédiats, se trouvent certains films de l’Amérique latine, comme Prayers for the Stolen, production mexicaine sur les défis de vivre dans un village dominé par des cartels de la drogue. On est loin d’une thématique post-moderne ici, on se trouve plutôt dans des thématiques très latino-américaine des dernières années, comme dans le film brésilien Bacurau (2020) sur les péripéties d’un village qui devient un terrain de chasse pour des touristes violents en quête de sensations, ou encore dans Les Z-Héros (2020), un film argentin qui raconte le projet de gens ordinaires pour construire une entreprise communautaire, projet qui est contrecarré par les actions illégales des élites de la région.

Plusieurs films réalisés dans des continents moins prospères se penchent donc souvent sur des réalités plus dures et incontournables de la vie, et de la vie en société en particulier.

C’est le cas avec le dernier film du réalisateur Asghar Farhadi, Un Héros, qui raconte les démêlées du héros, qui s’avère au final ne pas en être un, qui doit vivre plusieurs péripéties pour payer une dette et faire annuler la peine de prison qui lui est imposée. On serait tenté de dire que cette thématique des rapports contractuels et commerciaux problématiques est un thème qu’on trouve dans le cinéma iranien, ou même dans ceux du Moyen-Orient, mais il faut aussitôt ajouter que c’est un thème qu’on retrouve surtout chez Asghar Farahdi, comme dans ses films précédents, Le Client (2016), Une séparation (2010), ou même dans un film qu’il a réalisé en Espagne, Everybody Knows (2018), par exemple. Le Diable n’existe pas (2020) était un autre film iranien qui traitait des questions liées à des promesses et des engagements, plus liées cette fois à des engagements moraux et éthiques qui ne concernaient donc pas directement des questions de contrats interpersonnels. En arrière-scène de ces films iraniens, se trouve probablement un régime politique qui, par son intensité et son absolutisme, brouille les interactions entre les individus et les rend plus problématiques.

Toujours dans la foulée de ces films qui évoquent des défis de simple survie se trouve une tradition des films de l’Europe de l’Est et de l’Europe centrale, qui évoquent très franchement les défis posés par leur rapprochement avec les pays de l’Union européenne et les transformations économiques et sociales qui s’y trouent liées, comme on peut le voir dans le film roumain Acasa, l’adieu au fleuve, un documentaire sur les dilemmes d’une famille près de Bucarest qui doit choisir entre l’autarcie et l’intégration incertaine dans l’économie régulière. Cette thématique des défis de l’intégration européenne se trouvait souvent évoquée ces dernières années, dans des films comme le film Bulgare Glory (2016), dans Les Siffleurs (2019) ou encore dans un autre film roumain, L’affaire Collective (2019). Quo Vadis Aïda (2020), sur la vie exigeante, et même impossible, dans les camps de réfugiés en Serbie, lors des guerres civiles dans l’ancienne Yougoslavie est un film qui évoque aussi les défis immédiats de la survie, ici la survie pure et simple.

D’AUTRES ÉLÉMENTS DE CONTINUITÉ

Toujours en tentant de souligner la continuité des films de 2021, on peut dire qu’ils continuent de souligner l’avancée de certains groupes traditionnellement minoritaires ou exclus. C’est le cas avec le film de 2021 mentionné plus tôt, Mères parallèles, sur les choix que peuvent faire les femmes hors de la contrainte de la tradition. C’est un peu la même chose avec le film américain King Richard, qui raconte les efforts du père des célèbres sœurs Williams pour ouvrir le tennis aux minorités américaines qui n’avaient pas traditionnellement accès à ce sport.

Ce ne sont là que deux exemples de 2021 sur l’ouverture et l’inclusion, mais on peut dire que les dernières années y ont donné lieu à plusieurs occasions, et cela va sans doute continuer.

COMPLEXITÉ DES PERSONNAGES

Bien entendu, le fait de faire ressortir la complexité des personnages est une constante de beaucoup de films, de toutes les époques, probablement de la majorité de ceux-ci, mais on peut dire que l’année 2021 a été particulièrement révélatrice à cet égard. L’apport original sur ce thème, c’est que la complexité se pose sur des types de personnages qui semblent parfois nouveaux ou émergeants. C’est ainsi que The Power of the Dog commence par décrire un des deux frères propriétaires d’un grand ranch comme dominateur et cruel, mais qui évolue devant nous pour devenir au final un être plus complexe et même bienveillant, en tout cas plus généreux que prévu initialement.

C’est un peu cette prise en compte de la complexité des personnages, qui évoluent à partir d’une image négative qu’on peut en avoir, pour arriver à une certaine humanité, qu’on peut voir dans le film Compartiment No.6, qui voit évoluer un personnage russe, au premier abord grossier et rustre, vers une prise en compte de sa complexité et de sa richesse, au contact d’une visiteuse scandinave, forcée de partager le même compartiment de train avec lui.

Dans cette prise en compte de la complexité des personnages, les femmes ne sont pas moins complexes que les hommes, au contraire. Dans Benedetta, on revisite un monastère de religieuses du dix-septième siècle pour y découvrir des luttes de pouvoir, entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes, ce qui n’exclut pas des expériences homosexuelles au cours de l’intrigue. Le dix-septième siècle n’est donc pas ce qu’on pouvait imaginer, même dans les monastères. Bien entendu, Titane, le film le plus complexe de tous, réussit une sorte de record Guinness de la complexité, avec une héroïne meurtrière qui trouve une bonne part de son plaisir dans des rapports intimes avec des automobiles.

FILMS AMÉRICAINS ET FILMS D’AILLEURS

Quand on cherche des films vraiment significatifs et signifiants de 2021, on est surpris d’y trouver relativement peu de films américains, du moins parmi ceux qui sont mentionnés pour les prix de fin d’année. On ne voit pas beaucoup de films qui peuvent se comparer avec des films américains récents d’avant 2021, comme Nomadland (2020) ou encore Minari (2020). Il y a bien le film américain Pig (Cochon), l’histoire complexe d’un chef cuisinier qui quitte le monde de la grande restauration pour vivre à l’écart et chercher des spécimens particulièrement réussis de champignons et de truffes, mais il semble y avoir peu d’autres exemples.

En nomination pour plusieurs prix se trouve le film américain Licorice Pizza (Rêver Grand), qui raconte les aventures amoureuses et d’affaires d’un couple improbable, composé d’une jeune femme dans la vingtaine et d’un adolescent précoce qui vivent ensemble les péripéties de l’histoire culturelle américaine des année 1970 en Californie. Un peu à la façon d’American Graffiti (1973), de Forrest Gump (1994) ou du plus récent Il était une fois à Hollywood (2019), le film trace certains contours de l’évolution de la culture populaire américaine, tout en suivant des personnages qui y participent. Mais le film ne contribue pas réellement à des histoires réellement universelles et compte, de façon quelque peu myope, sur notre connaissance intime de la culture américaine, ce qui nous donne l’Impression d’avoir été convié par erreur à une rencontre d’un club privé dans lequel nous ne sommes pas membres. C’est par ailleurs un film qui pourra plaire à un public américain.

Ce regard un peu nombriliste des films américains de 2021 nous invite à voir ailleurs les films les plus significatifs de l’année, ceux qui débouchent sur des préoccupations universelles, des films comme Mères parallèles (Espagne), The Power of the Dog (Néo-Zélandais), Poupée volée (Grande Bretagne), ou encore Belfast (Irlande), parmi les plus intéressants. Il s’agit de films qui sont remarqués pour les prix de 2021, tout en étant significatifs, mais qui ne remporteront pas nécessairement des prix, puisqu’ils sont en compétition souvent avec des films plus accrocheurs ou qui disposent de budgets hors proportion, comme Dune, une prouesse technique, mais qui ne touche pas à des cordes sensibles de notre époque, du moins dans sa version filmique.

2021 aura donc été à la fois une année de continuité et de nouveauté dans ses thématiques et il sera bien intéressant de découvrir ou de redécouvrir ces deux dimensions dans les films de 2022.