SUR L'HERMÉNEUTIQUE

L’herméneutique est impliquée dans l’étude et l’art de l’interprétation. Si les origines du terme « herméneutique » sont quelque peu disputées, elles sont parfois associées avec le rôle d’Hermès, le messager des dieux grecs, apportant des informations aux hommes.

L’herméneutique a toujours été préoccupée, depuis ses origines et encore aujourd’hui, par le déchiffrage de textes difficiles et obscurs.

Et donc, en premier lieu, l’herméneutique a été impliquée, par-dessus tout et quasiment exclusivement, avec des textes écrits, le plus souvent religieux ou légaux. Mais l’herméneute français Paul Ricœur a étendu, au vingtième siècle, le domaine de l’herméneutique aux créations humaines qui apparaissent « analogues aux textes ». Celles-ci comprennent par exemple l’architecture, la peinture et la plupart des expressions artistiques incluant, dans notre cas, les films et le cinéma. Maintenant, avançons plus loin dans la compréhension des films à travers l’herméneutique.

Regardons, plus spécifiquement, comment le besoin de mieux comprendre des films difficiles et significatifs nous mène à l’herméneutique.

Dans un certain sens, tous les films nous parlent de l’histoire humaine, mais, sur ce site, nous voulons nous concentrer sur des films qui nous apparaissent particulièrement significatifs à cet égard.

Parmi ces nombreux films qui nous parlent d’une manière significative, nous souhaitons nous concentrer sur des films où une partie du contenu est présentée de manière quelque peu indirecte et a besoin d’être déchiffrée par-delà notre compréhension immédiate. L’histoire qui est racontée dans le film contient des aspects explicites alors qu’en même temps, certains aspects sont laissés implicites ou discrets. Ce sont ces aspects implicites et discrets qui forment le matériau de base de l’interprétation du Movie Shrink. Ils ne sont pas réellement « cachés » mais ils ont besoin d’être interprétés, ils ont besoin d’un travail additionnel de la part du spectateur. Telle est l’approche herméneutique à la compréhension de films significatifs.

Ce travail additionnel requis de la part du spectateur ou de l’analyste revient souvent à trouver un fil conducteur qui n’est pas explicite dès le départ dans l’histoire que raconte le film. La compréhension additionnelle qui en résulte nous fait voir le film sous un autre jour, souvent en liant ensemble des éléments qui semblent, de prime abord, décousus. La tâche que nous souhaitons réaliser dans ce site d’analyse de film est alors de trouver une unité de sens dans certains films par-delà leur premier visionnement. Une fois ce fil conducteur dévoilé, il reste une autre tâche, celle de lier l’histoire du film à la société contemporaine et à notre histoire collective, telle qu’elle se développe au vingt et unième siècle. C’est ce que nous appellerons parfois « l’éléphant derrière le film ( ou derrière l’écran) ».

FONDEMENTS DU MOVIE SHRINK

Tout en demeurant attentifs au risque d’aller trop loin dans notre désir de comprendre et d’interpréter, nous pensons néanmoins que les créations artistiques ont quelque chose à nous dire à propos de l’expérience humaine, par-delà leurs dimensions esthétiques, comme suggéré ailleurs. Le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer, un spécialiste de l’herméneutique, a critiqué, dans sa longue et distinguée carrière, la tendance commune à considérer l’art comme uniquement une question d’esthétique. L’art, selon Gadamer, est également une source de connaissance à propos de la société, et plus spécifiquement à propos de l’expérience humaine contemporaine. Comme artiste, le réalisateur de films lui-même ne prévoit pas toujours présenter cette connaissance de manière délibérée, comme suggéré ailleurs. Ceci n’est pas un problème, tout au contraire, car il se trouve un certain degré d’inconscience dans toutes les créations artistiques. Le rôle du processus herméneutique est de porter à un plus haut niveau de conscience ce sens lorsque ce dernier est difficile à identifier.

La méthode herméneutique est par ailleurs inutile lorsque, à un extrême d’un continuum, le sens est clair ou lorsque, à l’autre extrême, se trouve une surabondance de symboles et métaphores surchargées, partant dans toutes les directions et obscurcissant ainsi le contenu du film à l’étude.

D’autres éléments fondamentaux inspirent notre site, Le Movie Shrink.

Nous avons référé ailleurs à la contribution de l’herméneute français Paul Ricœur au domaine, et plus précisément à sa suggestion que nous devrions inclure comme objet de l’herméneutique des créations apparaissant « analogues aux textes », ce qui nous permet de considérer les films et le cinéma comme objets légitimes de l’interprétation herméneutique.

Une autre contribution de Ricœur est également pertinente pour notre présent propos : c’est son idée que, lorsque nous interprétons un texte ou quelque chose d’analogue à un texte, nous ne débutons pas, pour ainsi dire, avec une page blanche, sans aucun préjugé.

Parfois, et peut-être même la plupart du temps, nous possédons une idée de ce que nous tentons de trouver, une sorte de compréhension préliminaire de ce que nous cherchons. Ricœur nomme cette précompréhension, et cette idée préalable, l’herméneutique du « soupçon », qu’il oppose à l’herméneutique de l’«ouverture », lorsque nous débutons, dans ce dernier cas, par une complète ouverture d’esprit, dans un esprit totalement réceptif.

L’herméneutique du soupçon, comme point de départ, n’est pas meilleure ou pire que l’herméneutique de l’ouverture : elles sont simplement différentes. La précompréhension de l’herméneutique du soupçon n’est pas nécessairement problématique puisque notre précompréhension peut être utile si elle est disciplinée et abandonnée lorsqu’elle se révèle fausse ou qu’elle nous égare. Plusieurs autres philosophes herméneutes ont d’ailleurs porté attention à ce processus de précompréhension, Gadamer et son maître, Heidegger, ayant remarqué qu’il était inévitable et devait être reconnu.

Dans cet esprit, nous voulons rendre explicites certains éléments de base qui constituent notre propre précompréhension des films que nous étudions sur ce site.

Premièrement, il doit être précisé que l’auteur de ce site provient de ce qui peut être appelé les humanités et les sciences sociales, plus spécifiquement de la science politique, de la sociologie et de l’économie. Dans notre précompréhension des films que nous choisissons d’étudier, nous croyons au départ qu’aucun film ne peut échapper au contexte socio-économique de sa création. Il ne peut que refléter la période qui lui a donné naissance, que le film se situe au passé, au présent ou dans le futur. Un film, en effet, ne peut que révéler quelque chose à propos du contexte socio-économique dans lequel il apparaît. À travers le vingtième-siècle, et au-delà,, l’histoire du cinéma, débutant en même temps que le vingtième siècle lui-même, a été témoin de toutes sortes de changements historiques, sociaux et économiques, reflétant, parmi d’autres changements, l’accroissement de la portée des médias et l’agrandissement (et peut-être aujourd’hui le rétrécissement) de la taille et de l’échelle des organisations humaines, des villages jusqu’au niveau global, en passant par la ville et le niveau national. Ces éléments se produisent à grande échelle et évoluent lentement, à une vitesse qui ressemble plus au mouvement d’un éléphant qu’à celle d’un rapide félin. Nous pouvons parfois en voir un aperçu à travers les œuvres d’art et les films.

Lorsque nous étudions les films sur lesquels nous choisissons de passer du temps, qui ne sont bien entendu pas choisis au hasard, nous sommes conscients de ces dynamiques socio-économiques, non pour les juger ou prendre position à leur sujet, mais pour mieux les décrire et les comprendre.

Idéalement, le récit que le film met en scène est relié à l’évolution de l’histoire socio-économique à laquelle nous participons, en tant qu’humains, à ce point dans notre développement. Les films peuvent être considérés en effet comme reflétant l’histoire humaine.

En tentant de comprendre ces aspects socio-économiques et historiques des films à l’étude, nous comptons sur quelques disciplines spécifiques qui, prises ensemble, constituent les éléments de notre précompréhension et de notre herméneutique du soupçon à nous.

Puisant dans la sociologie, nous sommes guidés par ses traditions interprétatives et historiques, que l’on retrouve, parmi d’autres, dans l’œuvre de Max Weber. Au niveau de l’économie, nous sommes principalement intéressés par l' institutionnalisme économique (parfois appelé nouvel institutionnalisme économique) une école qui s’intéresse essentiellement aux changements apportés par l’évolution des modes d’interactions humaines et économiques. Finalement, du point de vue de l’histoire des médias, l’œuvre du philosophe des médias canadien Marshall McLuhan (le « village global » et « le médium est le message ») constitue pour nous une importante source de compréhension.

Ces éléments et auteurs peuvent être considérés comme constituant une part importante du matériau conceptuel de base du Movie Shrink enrichissant ainsi son approche herméneutique. Comme déclaré précédemment, reconnaître qu’il existe une sorte de précompréhension, qu’il est d’ailleurs possible d’abandonner au fil de l’interprétation, est en accord avec de nombreuses analyses herméneutiques. Nous n’avons fait ici qu’exposer quelques éléments de notre propre précompréhension en référant à Max Weber, à la sociologie interprétative, à l'économie institutionnelle, ainsi qu’aux théories de McLuhan à propos de l’histoire des médias.

D’autres sources d’interprétation des films sont utiles pour nous, mais celles que l’on vient de mentionner ici peuvent être considérées comme les principales.

Traductions de l’anglais : Georges Mercier