LES FILMS DU MONDE - juin 2022

2 juin 2022

Dans cette rubrique, nous voulons revenir sur des thèmes des films de 2021 et sur quelques films du tout début 2022, surtout sur des films dits internationaux, mais aussi, parfois, sur des films récents de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

On en sait un peu plus maintenant sur une catégorie de films qui ont été mis en nomination aux Oscars (le 27 mars dernier) mais aussi au Golden Globes et au britannique BAFTA, qui concerne les films étrangers ou en langue étrangère, maintenant appelés « films internationaux » aux Oscars, c’est-à-dire des films qui essentiellement n’émanent pas de l’Amérique du Nord, pour ce qui est des festivals américains.

Ces films peuvent souvent nous aider à mieux comprendre des événements qui se produisent hors de nos frontières européennes ou nord-américaines.

En 2014, le film classique russe, Léviathan, nous avait décrit le climat institutionnel d’autocratie et de corruption qui régnait déjà dans ce pays, climat qui n’était pas sans donner un aperçu du processus autocratique de la prise de décision pour l’invasion récente de l’Ukraine, qui est en train de couler à la fois l’Ukraine mais aussi, éventuellement, la Russie elle-même. Plus récemment, le film Compartiment no.6 (2021) racontait l’aventure d’une jeune finlandaise qui voyage en train en Russie. Au début du voyage, elle entretenait des préjugés tenaces à propos des Russes et de leur réputation de grossièreté, mais elle devait modifier ses préjugés au fur et à de son voyage. Aujourd’hui, que dirait-elle (ou : que lui ferait-on dire ?), suite aux comportements des armées russes en Ukraine ?

En nous inspirant de cet exemple, faisons un tour du monde à travers, surtout, certains des films dits internationaux nominés en 2022 pour L’année 2021. Commençons par les éléments les plus évidents. Comme on l’a dit lors de notre dernière chronique, beaucoup de pays sont à la peine, sur les plans sociaux et économiques, et cela paraît dans les thèmes des films de plusieurs pays.

Ces difficultés et défis, comme on l’a vu dans notre chronique précédente, peuvent être différents d’un pays à l’autre, ou d’un continent à l’autre. Mais, avec des nuances différentes, ce que racontent plusieurs films du monde, ce sont des défis souvent économiques, lesquels se mêlent à des dynamiques sociales, politiques et humaines. Dans plusieurs films récents de fin 2021 et du début de 2022, ce thème de la vie quotidienne difficile et exigeante se poursuit dans les films de plusieurs continents. Avec cette nuance que ces défis se présentent maintenant plus souvent avec une emphase particulière sur le thème de la globalisation économique. Ce thème, on l’a vu, était déjà présent sous différents aspects dans les films des dernières années, mais il nous semble se révéler avec plus de netteté dans des films plus récents. Nous y reviendrons plus loin.

EUROPE CENTRALE ET EUROPE DE L’EST

Nous pouvons penser que l’invasion de l’Ukraine de la part de la Russie (hiver-printemps-été 2022) est en partie dûe au fait que l’Ukraine veut intégrer de différentes manières l’Europe de l’Ouest, moderne et prospère, ce qui semble poser un défi existentiel et stratégique aux dirigeants russes.

Ce que les films de cette partie du monde (Europe de l’Est et Europe centrale) nous disent par ailleurs, c’est que l’intégration dans la riche et prospère Europe n’est pas exempte de défis et de difficultés, et le chemin qui y mène présente aussi des embûches et des pièges, même si l’objectif ultime est souhaitable. On a mentionné dans une chronique précédente un documentaire roumain récent, Acasa, l’adieu au fleuve (2021), où on présente une famille de la banlieue de Bucarest qui doit faire un choix difficile entre rejoindre l’économie de marché émergeant ou demeurer dans son état d’autarcie familiale. Le chemin qui même vers l’économie moderne européenne comporte en effet ses propres défis, surtout quand on passe d’un système économique particulier à un système très différent, comme cela est suggéré dans un autre film roumain, L’affaire collective (2019), au cours duquel des intérêts privés agissent en prédateurs dans le nouveau système de santé roumain. On avait déjà annoncé cette thématique avec le film bulgare, Glory ((2016), au cours duquel un honnête cheminot se fait troquer sa vieille montre familiale pour une montre super moderne et performante, mais qui ne donne pas l’heure correctement.

Dans des films qui ont pour contexte les guerres de l’ancienne Yougoslavie des années 1998-1999, on trouve dans des films récents un effort de se remémorer un passé douloureux, possiblement dans un effort de réconciliation avec lui. Cela, on l’a vu précédemment, est notamment le cas avec Quo Vadis, Aïda (2020), qui raconte les difficultés rencontrées par des personnes déplacées dans un camp de réfugiés régis par des militaires serbes. Le récent La Ruche (2021), dont le cadre est le Kosovo, une jeune veuve tente de retrouver le corps de son époux, enterré dans une fosse commune, lors des événements tragiques du milieu des années 1990.

Ailleurs en Europe, dans le film Mères parallèles (2021), on trouve aussi ce thème de la recherche de corps jetés dans une fosse commune, dans le cadre cette fois de la guerre civile espagnole des années 1930.

DES THÉMATIQUES MOINS ÉVIDENTES

Nous avons déjà évoqué plus haut la question des défis qui se présentent aux pays nouvellement intégrés à l’Union européenne.

Mais on peut voir la question de l’intégration à l’économie mondialisée sans la voir nécessairement à travers l’intégration européenne elle-même.

Les films qu’on peut rattacher à ce thème ne concernent pas, bien sûr, ses dimensions exclusivement économiques, il s’agit plutôt d’évoquer comment la globalisation nous affecte dans nos vies concrètes. Dans le film Un Yak dans la salle de classe (2021), un enseignant d’un village éloigné du Bhoutan hésite entre son rôle important d’unique professeur du village et son désir d’immigrer en Australie pour y poursuivre sa carrière de chanteur, laquelle apparaît moins cruciale pour le bien-être de ceux qui l’entourent. Le film Luzzu (2021) présente un thème très similaire, concernant cette fois un jeune père de famille de Malte qui doit choisir entre continuer sa vie de pêcheur individuel ou prendre la compensation offerte par l’Union européenne pour retirer son permis de pêche et intégrer une autre occupation, mieux arrimée au contexte économique mondial.

Le film Le Rucher (2021), dont on a parlé plus tôt à propos d’un autre thème, nous présente l’histoire d’une jeune veuve de la guerre civile yougoslave qui fonde une entreprise alimentaire dans un village du Kosovo, entreprise qui connaît éventuellement un succès international, non sans avoir aussi connu, en route, des entraves venant surtout des vieux du village qui voyaient d’un mauvais œil cette veuve qui travaillait hors du domicile familial.

On pourrait interpréter le film Conduis mon char (2021), le film très remarqué du Japon, comme un film qui aborde, subtilement, le thème de la globalisation. En effet, toutes les pièces de théâtre sur lesquelles travaille le héros, un metteur en scène, sont des pièces crées hors du Japon, et l’auto qui est le lieu des conversations est une auto allemande.

Un autre thème qui paraîtrait incontournable est celui de la transformation de notre environnement médiatique. Cela est certainement le cas avec le film français mis en nominations, France (2021), du nom de l’héroïne, une star des actualités TV à Paris, qui se trouve en conflit entre sa carrière médiatique et son désir de faire le bien, en dehors des projecteurs. Ce thème de la transformation de notre environnement médiatique se retrouvait aussi dans des films américains récents, comme L’Extraordinaire Mr. Rogers (2019), un film qui nous ramène aux années 1970, moins tiraillées par les discours agressifs et partisans d’aujourd’hui, présents entre autres sur les réseaux sociaux. On pourrait voir aussi dans le film Ruelle de cauchemar (2021), un film qui raconte les péripéties entourant les rumeurs autour des personnages souvent menteurs, une allusion à notre environnement médiatique devenu très conflictuel, à l’envers de ce que présentait L’Extraordinaire Mr. Rogers.

Il y a un autre thème moins évident qu’on veut souligner et c’est celui du thème de la quête, non pas du sens, mais, littéralement, de nos sens. Le film documentaire italien Chasseurs de truffes (2021), en nomination comme meilleur film international, raconte la lente disparition des chasseurs de truffes du Piedmont italien, ces individus qui cherchaient des truffes avec tous leurs sens, aidés en cela par leurs chiens fidèles, qui étaient même parfois invités à les rejoindre à table ! Le film nous rappelle un autre chasseur de truffes, Américain celui-là, dans un film appelé Cochon (2021), où un ancien chef d’un grand restaurant qui s’était retiré dans la forêt pour y vivre une vie plus authentique, est accompagné dans ses recherches par son fidèle cochon, comme les chiens dans Les chasseurs de truffes, qui était servi lui aussi par des sens très aiguisés. Le film Un Yak dans la classe (2021), le film du Bhutan dont on a parlé plus tôt, est aussi un film sur les sens alors qu’un yak, une sorte de buffle, broute dans le local d’enseignement du village, alors que les étudiants et le professeur poursuivent les cours comme si de rien n’était.

QUELQUES THÈMES PLUS « SOCIAUX »

Dans notre dernière catégorie de thématiques de films des années 2021 et du début des années 2022, sur les thèmes plus sociaux des films, on veut mentionner des films qui en appellent à une certaine nostalgie. De la même façon que les difficultés économiques impliquent beaucoup les films des pays moins fortunés, les défis plus proprement sociaux impliquent surtout des films de pays plus prospères.

C’est certainement le cas avec les films qui appellent à une certaine nostalgie. Bien entendu, la récente version cinéma de la série télévisée Downton Abbey (2022), dont le cadre est une famille titrée qui vit dans un grand domaine, aidée par une armée de serviteurs spécialisés, avec ses timides tentatives vers une vie plus contemporaine, représente presque par définition une certaine nostalgie.

Cette nostalgie est moins évidente, mais peut-être tout aussi réelle, avec la nouvelle version de West Side Story (2021), qui représente des luttes de gangs à New York, conflictuelles, certes, mais pas avec le même degré de violence armée que l’on trouve dans les villes américaines contemporaines. C’est en quelque sorte une nostalgie pour les luttes de gangs moins violentes.

Au contraire des films dont nous venons de parler, et qui nous incitent à une certaine nostalgie, certains films récents s’attaquent directement à des problématiques sociales très contemporaines. Comme ces problématiques sont plus sociales que strictement économiques, on les trouve surtout dans les films des pays plus prospères.

Un des défis des pays riches, avec l’augmentation de l’espérance de vie, est le vieillissement de la population. Déjà, avec le film britannique Le père (2020), on adressait cette question du vieillissement. Un film plus récent de France, Tout s’est bien passé (2021), pose la question de l’euthanasie et de la fatigue de vivre pour certaines personnes âgées.

D’autres questions sociales apparaissent aussi dans les films des pays plus riches, comme la maladie mentale dans le film français- belge-luxembourgeois Les Intranquilles (2021), ou encore l’intimidation à l’école, dans le film belge Un monde (2021), ou encore la prostitution juvénile dans le récent film québécois Noémie dit oui (2022).

EN CONCLUSION

Nous avons tenté de comprendre les thèmes des films qui sont mis en nomination pour la période des prix pour films étrangers de l’année 2021, présentés en 2022, et certains films récents de 2022, tout en les comparant parfois à des films des pays plus riches.

Même si certains films peuvent être très difficiles à comprendre, comme le film français Titane (2021) (voir notre site pour une analyse plus détaillée), la plupart des films, notamment étrangers, peuvent être au moins en partie compris dans le cadre de certaines thématiques partagées. D’une façon générale, les films des pays moins prospères continuent de s’adresser à des thématiques de difficultés économiques ( et à leurs innombrables conséquences), alors que les films des pays plus prospères nous dirigent vers des questions plus sociales et moins liées à la survie économique immédiate.

Il sera intéressant de voir comment les films de 2022 continueront à éclairer nos réalités économiques et sociales, et de quelles manières.

Bon cinéma !