COMMENTAIRES ÉCLAIR SEPTEMBRE 2022

24 septembre 2022

COMPRENDRE DEUX FILMS EXIGEANTS

Nous avons tous vécu cette expérience. Nous venons juste de visionner un film exigeant, et même un peu étrange, et nous nous nous demandons ou demandons aux autres autour de nous : quel était le propos de ce film? De quoi ce film nous parlait-il ?

C’est peut-être ce que se sont demandé plusieurs spectateurs après avoir visionné le dernier film du réalisateur canadien David Cronenberg, Les crimes du futur, sorti en salle à l’été 2022 et présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes du printemps 2022. (On peut consulter les commentaires détaillés sur ce film dans notre rubrique principale).

D’une certaine manière, ce film de Cronenberg semble partager plusieurs choses avec un autre film présenté en compétition officielle au Festival de Cannes de l’année précédente (2021), qui a gagné la Palme d’Or, Titane, de la réalisatrice française Julia Ducourneau (on peut voir l’analyse plus détaillé de ce film dans la rubrique principale de notre site). Le film de Cronenberg, lui, n’a pas gagné le prix ultime, car deux films de ce genre qui araient été gagnants deux années de suite, cela aurait été beaucoup à avaler, même pour le Festival de Cannes. Dans les deux cas, il y a eu un certain malaise de la part d’une partie de l’auditoire lors de la projection officielle de ces films.

Rappelons ici les principaux éléments de chacun des deux films.

Les crimes du futur

Dans un avenir pas si lointain, un spectacle est offert à un auditoire payant au cours duquel un artiste-homme de science présente les nouveaux organes qui se développent dans son corps. Le registre national des organes, présumément une bureaucratie du futur, surveille le tout et est prête à intervenir. Par ailleurs, un jeune, qui se nourrit de plastic et le digère très bien, est tué par sa propre mère qui craint dans ce phénomène une mutation malheureuse du corps humain.

Titane

Une femme qui est une tueuse en série, à temps plein ou partiel, ce n’est pas clair dans le film, fait l’expérience d’une relation sexuelle complète avec une automobile, et elle en deviendra enceinte plus tard dans le film, alors que, durant sa grossesse, elle subit des pertes d’huile, présumément en lieu et place de pertes de sang. Plus loin dans le film, cette femme, avant d’accoucher, et possiblement pour éviter des poursuites policières, change son apparence, pour prendre celle d’un jeune qui est disparu et dont le père se remet mal de cette disparition. Le père éprouvé croit retrouver son fils, ou veut y croire, et une relation intense et particulière se développe entre le père et celle qui a pris, au moins au début, l’apparence de son fils.

Quelques interprétations offertes

On pouvait le prévoir, les interprétations de ce film allaient dans tous les sens. Sans compter les critiques.

Dans le cas des Crimes du futur, on a parfois dit qu’il s’agissait d’un film sur la folie humaine et sur le triste sort de l’humanité, parfois relié à la crise environnementale.

Certains analystes ont vu Titane comme une sorte de manifeste féministe, en partie dû au fait qu’une femme semble donner naissance sans l’intervention d’un homme, du moins dans un sens conventionnel. D’autres encore y ont vu une posture post-moderne, qui tente d’ébranler nos catégories mentales au profit de relations de pouvoir fluides et changeantes. Pour d’autres encore, ce film est sauvé par ses qualités esthétiques.

Par ailleurs, la variété même des interprétations de ces deux films nous laisse sur notre appétit. On voudrait mieux comprendre et trouver un sens, ou, au moins, une certaine direction.

Comprendre chacun des films à l’aide de l’autre

Et si chacun des deux films se laissaient mieux comprendre que chacun d’eux séparément ?

C’est sur quoi travaille Des films sur le divan.

Chacun des films semble suggérer que le corps humain n’est pas une donnée fixe, permanente, qui ne peut changer.

Dans Les Crimes du futur, le corps humain développe de nouveaux organes et un jeune peut même manger et digérer du plastic, alors que dans Titane, une femme peut devenir enceinte d’une relation sexuelle avec une automobile, deux événements étranges, mais qui vont dans la même direction, soit de considérer ce qui est donné par la nature, le corps humain, comme une entité qui n’est pas fixe, qui peut donc se modifier.

Dans un sens, les films s’adressent à des conflits permanents entre deux pôles en tension l’un avec l’autre, et qui ont été décrits de différentes façons : la nature versus la culture, l’esprit versus la matière, et, en anglais, mind over matter, ou, dans sa version plus récente, software over hardware.

Dans les dernières décennies, il y a eu tellement de développements au niveau de l’internet et de tout ce qui est information qu’il y a eu disparité croissante entre ce qui est physique et ce qui est psychologique ou spirituel. Nous sommes devenus en quelque sorte des anges, des êtres spirituels, avec un physique vu comme vague, sans parler de notre identité sexuelle fluide. Dans un autre registre, les économistes nous disent depuis des décennies que le secteur des services et des connaissances a dépassé en importance les biens physiques ou matériels dans nos économies développées et que donc, ici aussi, le purement matériel s’est vu dépassé par le non matériel.

Est-ce à dire que les films endossent des options politiques, pour ou contre, par exemple, les choix d’identité sexuelle ou l’homophobie, qui sont maintenant perçues comme des questions éminemment politiques ? Pas vraiment, nous semble-t-il, même si les films peuvent toujours être instrumentalisés ainsi. Ni ne proposons-nous des interprétations définitives des films Les crimes du futur ou Titane, nous tentons seulement d’éclairer chacun des deux films exigeants avec l’aide de l’autre.

Ici, donc, deux films énigmatiques se comprennent plus facilement qu’un seul, car chacun, à sa manière, reflète des courants profonds qui sous-tendent nos sociétés, au-delà de la volonté de leur créateur-créatrice.