LES FILMS DE 2020-2021 PAR CONTINENTS, PAR RÉGIONS, PAR PAYS

10 décembre 2021

Est-ce que les films du monde racontent les mêmes histoires partout ? Ou racontent-ils des histoires différentes, particulières à leur contexte ? C’est ce que nous tenterons de mieux comprendre ici.

Les tendances des films, vus sous l’angle des régions et des pays, demandent parfois une analyse sur plusieurs années et c’est pourquoi, même si nous nous concentrons sur les films récents, ceux de 2020-2021, nous devrons parfois, pour mieux les apprécier, les voir sous l’angle de films un peu moins récents, comme ceux de 2018-2019, par exemple.

Il faut dire aussi qu’il faut parfois voir des films comme un ensemble, une « grappe » de films différents mais qui s’interpellent les uns les autres, d’une certaine façon. On en verra un exemple avec le thème des morts ou disparitions de jeunes enfants, un thème particulièrement présent dans les films européens récents, un thème qui se présente comme un « grappe » de films, un thème difficile à comprendre ou interpréter, mais tout de même identifiable dans le cinéma récent du vieux continent. Nous y reviendrons plus loin.

D’une façon très générale, on peut dire que les films des différents continents, régions ou pays, semblent correspondre, en partie du moins, à une idée qu’on retrouve dans les sciences sociales et organisationnelles, soit l’idée qu’il y a une certaine hiérarchie des besoins chez les humains que nous sommes. En résumé, les humains seraient préoccupés avant tout par les besoins de base, la sécurité, le logement, la survie matérielle, et ce n’est que quand ces besoins sont relativement satisfaits que l’on se tournerait vers la satisfaction d’autres types de besoins, comme le besoin de sociabilité ou de réalisation de soi. Ce serait vrai partout dans le monde, avec des déclinaisons quelque peu différentes.

C’est ainsi que les films européens, par exemple, semblent, comme on le verra un peu plus loin, avoir pour thème des défis reliés à des préoccupations qui vont au-delà de la survie immédiate, comme l’environnement, dans le film islandais Une femme en guerre 2018) ou l’excès de la consommation d’alcool, comme dans le film scandinave Alcootest (2020). Il peut être intéressant de contraster ce type de préoccupations européennes avec des préoccupations liées à un défi immédiat de survie, comme on peut voir dans des films réalisés en Afrique, comme dans L’indomptable feu du printemps (2019-2020) ou le film de Bosnie-Herzégovine Quo Vadis Aïda ? (2020) sur la survie dans les camps de réfugiés dans l’ancienne Yougoslavie, ou dans Acasia, l’adieu au fleuve (2020-2021), un documentaire qui relate la vie misérable de citoyens près de Bucarest, qui sont devant des choix de survie économique.

Dans notre revue de films du monde, nous allons d’abord décliner les tendances par continent, en suivant un mode inspiré de l’échelle de Maslow, que l’on vient de décrire, et aborder d’abord des films des continents plus préoccupés par la satisfaction des nécessités premières de survie.

C’est ainsi que nous commencerons par l’Afrique.

LES FILMS D’AFRIQUE

Nous n’avons vu que quelques films récents de ce continent. Il est donc assez difficile de tirer des conclusions sur ses tendances.

On peut mentionner le film L’indomptable feu du printemps (2019-2020), dont le titre en anglais est peut-être encore plus évocateur, « This is not a Burial, it is a resurrection » (Ce n’est pas un enterrement, c’est une résurrection). C’est un film sur le désarroi d’une région qui se voit oubliée par les avancés de la mondialisation. Dans un sens, ce pourrait être un film de bien des endroits dans le monde, et pas seulement en Afrique.

Il y a une certaine tradition de rendre compte de thématiques difficiles dans les films sur l’Afrique, comme dans la Nuit des rois (2020-2021), dont l’histoire se déroule dans une prison africaine, dont les prisonniers font face quotidiennement à des dangers de mort. Il fait penser à un film brésilien du même style, La cité de Dieu (2002), faisant état de la violence qu’on trouve par exemple dans les favelas de Rio de Janeiro.

LES FILMS DU MOYEN-ORIENT ET DU MONDE ARABE

Nous n’avons pas visionné assez de films du Moyen-Orient et du monde arabe pour se faire une bonne idée des tendances qui s’y trouveraient en matière de tendances thématiques. Par ailleurs, parmi les films récents qui ont trouvé place dans les listes de films qui ont eu un écho mondial, se trouve le film iranien Le diable n’existe pas (2020-2021). Nous attirons l’attention sur ce film parce qu’il fait partie d’un thème qu’on trouve souvent dans les films iraniens.

Il s’agit du thème des défis, éthiques entre autres, auxquels on fait face dans les relations interpersonnelles. Dans le film Le diable n’existe pas, il s’agit de dilemmes auxquels font face de jeunes conscrits faisant leur service militaire, devant des ordres de participer à des exécutions et des mises à mort. Ces dilemmes entraînent leur lot de conflits interpersonnels par la suite.

Mais ces défis dans les relations interpersonnelles, ici rattachés aux excès du régime en place, se retrouvent souvent dans les films iraniens, au-delà des dynamiques politiques. Ces défis se présentent souvent avec des dimensions d’échanges économiques. Dans des films iraniens comme Le Client (2016) ou La séparation (2011), on présente ces difficultés interpersonnelles comme ayant une base économique, comme des contrats, des promesses d’achat ou de vente, qui, à leur tour, entrainent des conflits interpersonnels. Dans un film qu’il a réalisé dans un cadre d’une Espagne rurale, et non dans un cadre iranien, le réalisateur iranien Ashghar Farahdi a aussi traité de ce thème dans son Everybody Knows (2018), un film dont la trame de départ, on l’apprend plus tard dans le film, est une transaction douteuse concernant une terre entre deux époux qui se divorcent.

Bien entendu, pour revenir au cas de l’Iran comme tel, on peut attribuer ces difficultés interpersonnelles et contractuelles au régime en place, mais les films iraniens, entre autres, ne se concentrent pas uniquement sur leurs dimensions politiques plus larges.

EN AMÉRIQUE LATINE

Les expériences douloureuses des dictatures militaires du siècle dernier continuent de faire l’objet de rappels douloureux dans certains pays de l’Amérique latine, comme c’est le cas avec La Llorona (2019-2020), un film présenté et remarqué au Festival des films de Toronto. C’est dans une sorte de processus de deuil collectif que l’on rappelle des événements tragiques de crimes politiques perpétrés dans le Guatemala militaire.

Dans un contexte moins militaire qu’auparavant, les élites continuent de décevoir, dans plusieurs films de l’Amérique latine. C’est notamment le cas avec le film Les Z-héros (2020-2021), un film tragi-comique qui présente l’Argentine comme cadre national. Dans ce film, les actions combinées des banquiers et des avocats véreux ont pour effet de déposséder les honnêtes citoyens de leur rêve de mieux-être économique.

Une forme encore plus radicale de dépossession de la part des autorités en place, par leur inaction ou leur corruption, se trouve dans le film brésilien Bacurau (2019), au cours duquel des villageois, après avoir été privés de l’accès à l’eau par les autorités, se trouvent attaqués par des touristes prédateurs qui les chassent comme des proies.

Dans le film colombien Nous serons les oubliés (2021), on raconte les défis auxquels fait face un médecin colombien tentant de réduire la souffrance humaine dans ce pays encore aux prises avec des guerres de la drogue, devant lesquels les autorités semblent soit impuissantes, soit parfois complices.

EN EUROPE CENTRALE ET DE L’EST

Le portrait parfois sombre que nous offrent les films du Moyen-Orient et les films de l’Amérique latine se retrouve souvent, mais avec une saveur particulière, dans plusieurs films de l’Europe centrale et de l’Est.

Bien entendu, l’ensemble de la planète applaudit l’intégration de l’Europe centrale et de l’Est dans la mouvance politique et économique de l’Union européenne. Cette intégration est vue comme un progrès par rapport au régime précédent. Par contre, cela ne va pas sans défis, difficultés et heurts.

On avait déjà pu percevoir des défis d’intégration dans le film gréco-bulgare Glory (2016), dans lequel un cheminot honnête se voit confisqué sa montre héritée de son père, pour être remplacée par une montre ultra-moderne…… qui ne fonctionne pas. Dans le film Les siffleurs (2019), l’argent gagné, illégalement, ne peut, au final, qu’être dépensé à l’étranger, en Europe de l’Ouest. Le documentaire Collective (2021) donne l’image d’un secteur public contemporain qui, dans le secteur plus traditionnel de la santé, ne réussit pas à dépasser réellement la tendance à la corruption de l’ancien régime.

Dans le documentaire Acasio, l’adieu au fleuve (2020-2021), une famille roumaine habitant près de Bucarest, se trouve confrontée à l’obligation de délaisser une vie économique d’autarcie pour s’intégrer dans le contexte plus incertain de l’économie de marché.

La zone de l’Europe de l’Est est aussi le théâtre de camps de réfugiés dont les résidents visent l’Europe de l’Ouest comme destination finale, comme on peut le voir dans le film de Bosnie-Herzégovine Quo Vadis Aïda ? (2021) qui évoque les défis de survie auxquels sont confrontés les habitants de ces villages de fortune.

On sait depuis plusieurs années maintenant que les films russes, depuis le classique Taxi Blues(1990), sont plutôt pessimistes, et cela est vrai des films assez récents, même s’ils réfèrent parfois au passé plus lointain., comme dans le film Une grande fille (2019) pour le dire. Il y a bien entendu des opinions très diverses et contradictoires sur le progrès ou l’absence de progrès de la Russie post-soviétique, mais ce que l’on peut dire, c’est que les films russes récents en donnent une image pas mal pessimiste.

QUELQUES EXEMPLES DE FILMS DE L’ASIE

Ici aussi, nos remarques vont se baser sur un nombre très limité de films, et on ne mentionnera seulement quelques-uns de ceux qui ont été remarqués en dehors de leur pays d’origine. Bien sûr, seulement dans le cas de l’Inde, un très grand nombre de films sont produits à chaque année.

Le film indien qui a le plus attiré l’attention récemment est le film est Le Disciple (2020), une histoire qui concerne moins un défi de survie économique qu’une question de résilience culturelle nationale, face à l’envahissement de la musique et de la culture venant du monde entier, via la mondialisation.

Le film de la Corée du Sud, acclamé à Hollywood, Parasite (2019) est moins une histoire de survie économique qu’une question de conflit de classes sociales, qui comporte par ailleurs une dimension économique.

Le film chinois Les Éternels (2018-2019) n’a pas, lui non plus, une dimension de survie économique pressante, mais plutôt une exploration de la façon dont les immenses changements socio- économiques en Chine affectent différemment les générations et les sexes.

LES FILMS DE L’EUROPE DE L’OUEST

Ce qu’on peut remarquer, dès le départ, à propos de plusieurs films de l’Europe de l’Ouest, c’est qu’ils semblent s’attaquer à des thématiques moins pressantes que dans la plupart des régions qu’on a regardées jusqu’ici. Si on revient à l’échelle de Maslow qu’on a vu plus tôt, il s’agit de défis qui interpellent moins souvent les défis de la survie immédiate.

Ce n’est pas à dire que ces défis sont facilement résolus.

Bien entendu, les préoccupations environnementales sont importantes, et même graves, mais ils ne constituent pas, la plupart du temps, des menaces imminentes et immédiates. Le film islandais Une femme en guerre (2018) nous présente ces préoccupations environnementales, dans un genre qui n’est pas loin de la comédie. C’est un peu la même chose avec le film scandinave Alcootest (2020), qui a pour thème des professeurs d’école qui pensent augmenter leur crédibilité et la qualité de leur vie par une consommation plus soutenue d’alcool.

D’autres défis attendent les pays riches en ce qui concerne le vieillissement de la population, au-delà du cas japonais, qu’on connaît mieux. Le film britannique Father (2021) en traite assez directement.

Sans que cela soit vu comme un problème, on a vu que le film espagnol Le mariage de Rosa (2020-2021) aborde indirectement la question de l’augmentation démographique des « ménages » composés de personnes vivant seules. Dans ce film, Rosa décide d’organiser une cérémonie de mariage au cours de laquelle elle s’épouse….. elle-même.

En France, le film France (2021) nous dresse un portrait décapant de la tourmente médiatique, mais on ne peut pas dire, ici non plus, qu’il s’agit d’un défi immédiat à la survie.

Et, pour autant que le film Titane (2021) comporte une dimension des tensions et des choix en termes de genres ou de changements de genre, on ne peut pas les décrire comme des questions sociales pressantes, qui affectent la survie immédiate, du moins pour la plupart des gens, en Europe comme ailleurs.

Reste une question qui peut être, ou ne pas être, une question importante.

Il s’agit du thème, dans plusieurs films européens récents, d’enfants qui sont morts ou disparus. Il ne s’agit pas d’enfants ayant connu des sévices sexuels, mais d’enfants morts pour différentes causes. C’est le cas avec le film scandinave Koko-Di Koko-Da (2019), le film islandais Lamb (2021*),* le film britannique-français Ma Zoé (2021), et même le film français Titane (2021). Il faut ajouter que le film américain Land (2021) aborde le même thème, mais plus indirectement.

Il est difficile de savoir si la présence de ce thème est accidentelle ou significative, mais elle est trop présente pour être ignorée, du moins dans un premier temps.

LES TENDANCES DES FILMS AMÉRICAINS

Les films américains sont si nombreux et variés qu’il est difficile d’en trouver des thèmes qui sont privilégiés. C’est en particulier le cas des films américains de 2020-2021, très variés comme porteurs de thématiques.

Il est certain par ailleurs que les films américains de 2020, quant à eux, étaient très parlants. Nomadland (2020), sur la mobilité extrême d’un monde de vie lié à l’économie dominée par Amazon, est un film puissant sur notre société et notre économie. Le genre de vie qui fait de son véhicule son domicile est une de ces tendances qui affecte d’abord les États-Unis, puis probablement, par après, le reste du monde.

Dans les dernières années, les films américains ont été les témoins d’excès de toutes sortes, excès et violence dans la vie privée, comme dans Zola (2021), excès dans les projets de construction extravagants, comme dans Le projet Hummingbird (2018), réalisé par un Canadien, mais portant sur les États-Unis, ou encore des déséquilibres dans nos rapports sensoriels, comme dans The Sound of Metal (2019) ou peut-être dans Cochon (2021).

C’est peut-être pour répondre à ces excès que l’on a retrouvé dans des films américains récents des rappels d’années plus paisibles, comme dans L’extraordinaire Mr. Rogers (2019) ou un rappel d’une période moins conflictuelle sur le plan de l’immigration, comme dans le film MInari (2020).

Certains films semblent se rattacher à des thématiques historiques plus spécifiques, et revenir par exemple sur les emprisonnements qui ont fait suite aux événements du 11 septembre 2001, dans Le Mauritanien (2021) , ou des phénomènes plus récents comme les pandémies, comme dans le film britannique In the Earth (2021).

Nous ne nous nous pencherons pas ici sur les films canadiens ou québécois, et nous en traiterons dans une publication séparée.

EN CONCLUSION POUR 2020-2021

Ce que l’on peut remarquer dans les films du monde des années 2020-2021, et aussi des quelques années précédentes, c’est avant tout une grande continuité. Les thématiques de chaque grand continent, par exemple, sont remarquablement stables, même si de nouvelles thématiques apparaissent, comme des thématiques sur le genre.

On peut le constater avec certains exemples.

Les films du Moyen-Orient et les films de l’Amérique latine semblent toujours présenter des difficultés et des défis de la vie collective et publique, auxquels se mêlent les défis de la vie privée. Problèmes de pouvoir, mais aussi de rapports individuels.

Les films de l’Europe centrale et de l’Est nous donnent à voir l’envers des succès de l’intégration européenne, tel que vécu dans la vie de tous les jours. Le portrait qu’offrent les films russes des dernières années n’est pas très différent.

En comparaison, l’Europe de l’Ouest nous présente des sociétés qui font face à des problèmes qui apparaissent moins menaçants ou moins graves, du moins dans l’immédiat, comme la qualité de l’environnement, la consommation excessive d’alcool, des déséquilibres démographiques, ou le soin des personnes âgées.

Pour comparer les différentes thématiques entre les régions du monde, une première approche est de les situer dans une hiérarchie des besoins, comme l’a fait Abraham Maslow. Dans les films des régions moins prospères du monde, on est plus préoccupés par les questions de survie immédiate, qu’elles soient politiques ou économiques, que ne le sont les films des pays plus riches, comme ceux de l’Europe de l’Ouest.

Il sera intéressant de voir comment, dans des sociétés qui changent malgré tout beaucoup, ces thèmes vont évoluer et se modifier au cours des années à venir.