FRANCE
1 décembre 2021
Est-ce un film sur France, la journaliste vedette du film, ou est-ce un film sur la France, le pays, la France contemporaine, immergée dans la tourmente des médias ? Dû à son histoire, le mariage entre la culture déjà existante et la tourmente des médias possède une saveur toute particulière en France.
Comédie dramatique française du réalisateur Bruno Dumont, accueillie avec un mélange d’applaudissements et de hués à Cannes en 2021.
L’HISTOIRE
France est une super star journalistique, qui a sa propre émission de nouvelles. Elle parcourt le monde, dans le cadre de reportages aux intentions ambigües, quelque part entre compassion envers le monde souffrant de guerres et développement de son propre programme de vedettariat.
Autant elle brille à l’écran, autant les relations avec ses proches, avec ceux avec qui elle interagit concrètement, dans la vraie vie de tous les jours, apparaissent froides et conflictuelles. Mais les auditeurs ne voient que la France idéalisée, jusqu’au jour où ils l’entendent, elle et son équipe, parler franchement et sans aucune compassion des drames du jour, alors qu’ils croyaient les micros fermés.
Entretemps, toujours dans sa vie « réelle », elle frappe un cycliste accidentellement, et elle tente de limiter les dégâts découlant de cet incident par des actions de compensations envers sa victime, un jeune immigré, des actions dont il est difficile de dire si elles sont sincères ou si elles sont effectuées pour sauver son image de journaliste vedette compatissante.
LES INTERPRÉTATIONS
Pour Peter Debruge, de Variety, le film « a beaucoup à dire (« a lot here to unpack ») pour ceux qui le prennent au sérieux ».
Pour de nombreux analystes, le film représente une sorte de diagnostic de la France, mais « la maladie qui ronge le pays- et aussi l’héroïne- est difficile à identifier »; le film se veut donc, selon Mark Asch, un état de la situation des médias mais aussi de la France elle-même, conclue-t-il, dans Little White Lies. Et même une sorte de description de la dépression et de la désillusion du pays en entier. C’est, d’une certaine manière, une sorte de « state-of-the-nation address written in invisible ink » (une sorte de discours sur l’état de la nation, écrit à l’encre invisible).
UNE INTERPRÉTATION PLUS LARGE
Les nouveaux médias de communication ne s’intègrent pas à des sociétés qui ont toutes les mêmes expériences historiques ou le même terreau.
Dans le cas de la France, la longue tradition de centralisation et de limitation de certains aspects de la vie collective locale française a parfois affaibli les relations que l’on entretenait les uns avec les autres, localement, au profit de directives et de dynamiques qui provenaient de la capitale- Paris, bien sûr. Cette dynamique pouvait insensibiliser les relations qu’on avait avec les plus proches de nous. Le proche devient négligé au profit du loin. Cette dynamique n’est pas sans être reliée à un snobisme très français, où l’on tente de découvrir la dernière mode qui vient de la capitale.
On trouve l’identification de cette dynamique toute française dans des auteurs classiques qui ont examiné l’histoire française sous cet aspect, comme de Alexis de Tocqueville, ou qui l’ont comparée à d’autres traditions, comme Norbert Elias.
L’insensibilité que manifeste France, la journaliste vedette, vis-à-vis son entourage immédiat, son mari, son fils, par exemple, et son hyper sensibilité vis-à-vis de son auditoire, est une sorte de reproduction d’une dynamique très française, où le centre a une importance surdéveloppée par rapport au proche, au local, du moins en ce qui concerne les questions administratives et de politiques publiques, ce qui se reproduit en partie dans le reste de la société. En parlant de la dictature des médias, on parle de France, la journaliste, mais aussi de la France, de sa tradition et de sa réactivation à l’occasion du tourbillon des médias.
Les nouveaux médias ne pénètrent pas des milieux sans passé et sans histoire. France nous présente une partie de sa dimension française.