GLORY

19 juin 2020

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Que connaît-on vraiment de toutes les mutations sociales et économiques qui accompagnent l’Europe de l’Est et l’Europe centrale dans le cadre de son intégration dans la modernité européenne ? Très peu, en réalité, à part une analyse superficielle que leurs régimes politiques se sont tournés dernièrement vers des partis conservateurs. Le film bulgare-grec Glory, réalisé en 2016 et accessible en Allemagne à partir de 2018, nous donne une idée de ce qui peut se passer sous la surface des événements quand un cheminot bulgare perd sa montre familiale (nommée Glory) quand elle lui est soutirée pour faire place à une montre contemporaine high tech….qui ne fonctionne pas.

GLORY : un drame bulgare-grec des scénaristes-réalisateurs-producteurs Kristina Grozeva et Petar Valchanov, produit en 2016. Le film a reçu plusieurs prix dans des festivals de films européens moins connus et a été présenté dans la compétition principale au Festival international de Locarno.

L'HISTOIRE

Un cheminot bulgare qui vit seul, Tsanko Petrov, trouve lors de ses travaux d'inspection une très grosse somme d'argent et il décide de rendre la somme aux autorités concernées, soit dans ce cas, au ministère des Transports bulgare. Ce geste amène les autorités du Ministère à faire une campagne de publicité pour faire connaître l'honnêteté de ce travailleur de l'État, ce qui leur offre en même temps l'occasion de divertir l'attention des scandales qui plombent le Ministère durant la même période. Il n'est pas clair si les scandales auxquels on fait allusion concernent le vol ponctuel de carburant perpétré par de simples employés ou aux vols plus importants perpétrés à l'occasion des ventes d'actifs de l'État à des prix dérisoires, style Russie.

La personne en charge de la publicité au Ministère est Julia Staykova, une spécialiste des relations publiques, qui est toujours au pas de course, à la merci des humeurs de son cellulaire, le vrai patron de son emploi. Dans sa vie privée, elle se trouve dans une procédure médicale afin de se trouver enceinte, avant qu'il ne soit trop tard pour elle.

Pour célébrer l'honnêteté de notre cheminot-héros, Tzanko Petrov, la spécialiste des relations publiques, Ms. Staykova, retire à Tsanko sa montre familiale, Glory, pour la remplacer par une montre high-tech.

Le seul problème est que la nouvelle montre ne donne pas l'heure, elle est défectueuse. Tsanko entreprend donc de retrouver sa montre à lui, celle qui lui a toujours donné l'heure juste, pour ainsi dire, laquelle lui a été enlevée lors de la cérémonie.

Sa recherche pour trouver sa montre ne donne pas de résultat, et la spécialiste des relations publiques tente de lui refiler, en guise de compensation, une montre qui n'est pas la sienne. Tsanko devient très frustré et il organise une conférence de presse où il raconte son histoire et aussi l'histoire de la corruption au Ministère.

Suite à cette série d'événements, Julia apprend qu'un cheminot s'est suicidé, et elle en conclut, à tort, qu'il ne peut que s'agir de Tsanko. Rongée par la culpabilité, elle apprend finalement qu'il ne s'agit pas de Tsanko, après tout. Pour faire amende honorable, elle se met à chercher sérieusement la montre égarée de Tsanko, puis la trouve. Elle décide alors d'aller lui rendre visite, en lui apportant aussi sa montre. Elle trouve Tsanko dans son modeste domicile, meurtri lors d'un règlement de compte de la part de ses collègues de travail, qui sont d'avis que c'est Tsanko qui a révélé leurs petites combines au travail.

Le film se termine sur une scène un peu particulière, au cours de laquelle Tsanko menace Julia avec un outil lourd, pendant que le mari de Julia attend toujours son retour dans leur voiture.

L'INTERPRETATION DU MOVIE SHRINK

Bien entendu, notre première réaction est de penser qu'il s'agit d'un film sur la corruption dans les nations nouvellement modernisées de l'Europe de l'Est. Il est certain que le film nous amène en partie là. Il s'y trouve en effet beaucoup de corruptions, à la fois la petite corruption de l'ancien régime, et la grande corruption à l'occasion de la privatisation d'actifs publics.

Il est possible aussi que le film se trouve dans la mouvance de traditions cinématographiques qui vont au-delà de l'histoire spécifique qui y est racontée. Ainsi, Leslie Felperin, du Guardian, estd'avis que « le film se trouve ancré dans un pessimisme typique du cinéma roumain (JCM : même si le film est bulgare), tout en exhibant une tendance encore plus sombre, tout à fait typique du cinéma slave ».

Même si les remarques qui viennent d'être évoquées contribuent à nous aider à mieux comprendre le film, et en particulier son ton et son atmosphère, le sens plus profond du film se trouve ailleurs.

Le film traite avant tout du temps.

C'est en effet le temps qui constitue l'essence du film, sa vedette pour ainsi dire.

Le titre du film est le nom d'une montre, 'Glory', une montre qui donne l'heure juste. En l'absence de la montre, on ne peut plus connaître l'heure qu'il est, on peut perdre une référence au temps.

Mais ce n'est pas seulement Tsanko qui a des défis avec le temps. Julia, l'experte en relations publiques, en a aussi. Elle est constamment bousculée par son téléphone cellulaire. Tout comme Tsanko, qui est bègue et qui ne peut tenir la cadence des mots, elle a de la difficulté à tenir la cadence au rythme effréné du monde des « relations publiques ».

Elle a d'ailleurs un autre conflit avec le temps, dans le sens où elle veut devenir mère, mais le temps, dans son cas, presse. Un critique de film en Europe a commenté que cette sous-histoire, celle du projet de maternité de Julia, constituait une diversion inutile de l'histoire principale du film, l'histoire de Tsanko. Mais pas du tout, selon Le Movie Shrink. En fait, la sous-histoire du projet de maternité de Julia apporte beaucoup d'éclairage au film. Elle confirme le sujet principal du film, le temps.

UN REGARD PLUS LARGE

À travers toute l'Europe centrale et l'Europe de l'Est, plusieurs pays qui entrent dans la mouvance de l'union européenne font l'expérience, du même coup, d'un nouveau rapport au temps. Le nouveau rythme est plus rapide, plus exigeant, déstabilisant même. Le nouveau temps est en grande partie le rythme des affaires, celui du temps des entreprises. C'est, entre autres, le temps des inventaires* just in time.*

Il serait superficiel de penser que les changements en Europe centrale et en Europe de l'Est peuvent être compris seulement à partir de l'économie. En dessous des changements économiques, d'autres changements arrivent avec eux, cachés sous la surface, loin de notre regard.

Glory nous en donne un aperçu.