BACURAU

1 décembre 2021

Dans ce film qui défie les catégories de genre, on ne peut qu’être attentif à son contexte socio-politique, un Brésil en crise depuis maintenant une décennie et davantage. Crises politiques, économiques, sociales et, maintenant, environnementales. Que nous dit ce film au-delà de ce que nous croyons savoir déjà ?

Film dramatique brésilien, produit en 2019 et accessible à partir de mai 2020, des réalisateurs Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles, qui en sont aussi les scénaristes.

L’HISTOIRE

Dans le Nord-Est du Brésil, région pauvre et délaissée du pays, les habitants du village de Bacurau luttent pour leur survie et pour l’accès à l’eau, dont l’administration semble les priver.

Déjà aux prises avec ces défis existentiels, leur situation s’empire, avec l’arrivée de touristes étrangers, parlant anglais, qui les chassent comme des proies, comme s’il s’agissait d’une sorte de safari. Les « touristes-chasseurs » semblent souvent inclure des vétérans de services de police ou militaires américains. Parmi eux, un Allemand qui a un passé inquiétant.

Dans cet étrange safari, les chasseurs sont accompagnés « d’éclaireurs » brésiliens, qui viennent de Sao Paulo, et qui pensent faire partie intégrante de l’aventure, jusqu’à ce qu’on leur fasse comprendre qu’ils ne sont eux-mêmes que des « locaux ».

Le carnage annoncé se produit, comme prévu, et on tire sur les villageois et même sur des enfants. Un politicien véreux est complice, et il est accompagné d’une jeune prostituée qui est offerte en guise de cadeau aux habitants du village.

Le tout se passe au-dessous de drones inquiétants, qui surveillent les habitants et filment les scènes de « chasse ».

Au final, le village semble résister et survivre aux événements, comme il l’avait fait dans un épisode antérieur, différent, comme le relate le Musée sur l’histoire du village.

LES INTERPRÉTATIONS

Bien entendu, un tel film, sorti dans les circonstances actuelles du Brésil, ne pouvait que susciter des interprétations sociales, politiques et économiques. On devait le prévoir.

Par ailleurs, ce n’est pas à dire que le film est facile à comprendre. Peter Debruge, dans Variety, nous en avertit en disant que le film demande, pour être vraiment apprécié, un certain travail pour décomposer ses différents niveaux de signification.

Au moins trois analystes font référence au régime politique actuel et à la présidence de Jair Bolsonaro en particulier (Peter Bradshaw dans The Guardian, Marc-André Lussier dans La Presse et Ela Bittencourt dans Harper’s Magazine) pour éclairer le contexte du film.

Au-delà du pouvoir politique actuel, plusieurs analystes vont un peu plus loin pour parler d’inégalités et de conflits de natures économiques et sociales au Brésil, et même de classes sociales, comme le fait Roger Ebert ou comme Manohla Dargis du New Times York qui parle de luttes entre les have et les have not.

Allant toujours un peu plus loin, des observateurs ont vu dans le film une allusion à la mainmise d’entreprises sans scrupules sur les richesses du pays, dans le cadre d’un certain colonialisme, associé parfois aux États-Unis (Roger Ebert), ou même aux dynamiques de la colonisation. Cette situation est parfois accompagnée, pour certains, du processus de globalisation, et du type d’économie qui l’accompagne, encouragé par le régime en place.

Allant encore plus loin, David Sims, dans The Atlantic, parle du film comme « d’une distillation du sentiment de menace imminente (doom), caractéristique du 21e siècle ».

UNE INTERPRÉTATION ADDITIONNELLE

Les interprétations que nous venons de voir éclairent sans aucun doute ce film sombre, qui évoque la vie politique, sociale et économique du Brésil d’aujourd’hui.

Mais au-delà des dynamiques plus complexes, comme le capitalisme ou la mondialisation, il y a une dynamique plus simple, plus « basic », qui est présentée dans le film, à savoir que les entités plus grandes attaquent et exploitent les plus petites. On en veut pour indice que les Brésiliens venant de Sao Paolo, citoyens d’une grande ville, Sao Paulo, dans ce film, participent aussi au carnage et au safari, jusqu’à ce qu’on leur fasse comprendre qu’ils ne sont que des « locaux » du point de vue des envahisseurs américains.

Le film Apocalypto de Mel Gibson (2006) nous avait donné à voir une telle dynamique, en présentant le sort cruel réservé aux membres de petites tribus paisibles par une grande cité Maya dans une Amérique du Sud à l’aube des colonisations espagnoles et portugaises. Dans la dernière scène du film Apocalypto, on voit arriver des grands navires espagnols, annonciateurs de sévices à venir, venant cette fois d’ensembles plus grands encore.

Cet élément de taille, pour ainsi dire, est une composante qui a sa propre dynamique et qui semble essentielle dans le film Bacurau, au-delà de phénomènes plus complexes et sophistiqués. La taille des entités, tribus comme nations, semble constituer en effet une composante importante dans l’Histoire.

Et dans notre 21e siècle.