NOMADLAND
13 juin 2021
Ce film de fiction, presqu’un documentaire, porte un regard tendre et affectueux à une réalité peu documentée au cinéma : les gens qui, sans domicile fixe, vivent dans leur van, leur véhicule utilitaire qui leur sert de maison mobile. S’agit-il ici d’un film politique, qui veut nous transmettre un message à propos des tendances socio-économiques de l’Amérique ? Oui, en partie. Mais le sujet est à la fois plus spécifique et plus large.
NOMADLAND, Un film de 2020, écrit, réalisé et produit par Chloé Zhao, née en Chine, et qui met en vedette Frances McDormand, qui est aussi coproductrice et récipiendaire de l'Oscar de la meilleure actrice aux Oscars décernés en 2021. Le film est basé sur le roman Surviving America in the Twenty-First Century, écrit par la journaliste Jessica Bruder. Le film a aussi reçu plusieurs autres nominations et reconnaissances, dont celui du meilleur film de 2020, aux Oscars de 2021.
L'HISTOIRE
Fern, une femme au début de la soixantaine, vient de perdre son mari et vient de perdre aussi son emploi dans une usine de gypse située à Empire, Nevada. L'usine ferme ses portes définitivement, et Fern vend et quitte donc sa maison.
Fern a connu une vie relativement satisfaisante jusque-là, et elle se tourne maintenant vers une toute nouvelle vie dans sa van, sortede véhicule-domicile mobile improvisé, qu'elle appelle « A-Van-Guard », en parcourant différents lieux du Midwest américain, à travers des emplois temporaires et modestes, tantôt nettoyant les détritus des parcs ou parcs pour maisons mobiles, tantôt dans la restauration, souvent en travaillant dans des centres de distribution de Amazon.
La vie dans ces parcs pour domiciles mobiles n'est pas dénudée de vie sociale ou même d'amitiés, dans un milieu social qui a quand même ses règles, ses normes et sa culture. Bien sûr, on peut dire de ses locataires que ce sont des loosers, des perdants, des laissés pour compte, et c'est ce qu'ils paraissent être à l'occasion, avec leurs exhortations de take care (prends soin de toi) et d'autres formules de circonstances, exprimées de façon obligée et un peu mécanique.
Fern a développé une amitié avec un autre résident, mais quand il décide de retourner à une vie plus standard, chez son fils, Fern décline son invitation de le rejoindre dans ce mode de vie plus convenu.
Se déplacer de place en place a ses charmes, celui de la liberté entre autres, mais aussi les couchers du soleil dans le désert, les conversations auprès du feu, les authentiques échanges, confidences et réflexions. La spiritualité n'y est pas absente, non plus.
L'INTERPRÉATION DU MOVIE SHRINK
On peut voir le film comme un commentaire sur l'état de la société, comme une histoire sur les apories du rêve américain, ou encore, dans un langage plus théorique, comme un film de « fin d'empire ou de fin d'un capitalisme avancé ». Il y a, après tout, des portions du film qui s'adressent à une dure réalité, celle dans laquelle une partie de la population américaine est enfermée, dans le cadre d'emplois qui n'ont ni intérêt ni avenir. Il y a d'ailleurs un personnage du film qui fait appel à ces réalités dans des discours sur la justice, l'égalité et les misères qui accompagnent inévitablement des circonstances économiques difficiles. Mais, même ce militant d'une justice socio-économique, pour peu qu'on écoute ses propos, dévoile des événements spécifiques et personnelles qui ont contribué à le rendre nomade et sans abri fixe.
Dans un commentaire éclairant sur le film, la critique de film Nathalie Olah du New**Statesman, observe que le film ouvre la porte à des contradictions, comme la vie elle-même. Dans les commentaires libres qu'on peut lire dans Rotten Tomatoes, un spectateur va beaucoup dans le même sens, en disant du film qu'il donne une vision étonnamment équilibrée de la vie des nomades dans les vans.
En vrai, le film peut donner cours à différents types d'interprétations, qui peuvent d'ailleurs être combinées. S'il est vrai que l'héroïne n'aurait jamais connu cette vie de nomade motorisée sans la fermeture de l'usine de gypse de sa ville, et s'il est vrai aussi que' Amazon et ses semblables produisent, presque par leur nature, beaucoup d'emplois peu valorisants, il est vrai aussi que Fern n'échangerait pas son mode de vie sans examiner attentivement les alternatives qui pourraient le remplacer.
LA PERSPECTIVE PLUS LARGE
Tout en reconnaissant que le film ne se réduit pas facilement à une seule interprétation, il faut dire que Le Movie Shrink essaie toujours de trouver un fil conducteur, un élément qui, à première vue, n'est pas évident, mais qui imprègne le film d'une cohérence, même en dehors de toute intention du créateur.
Tant qu'il n'a pas réussi à identifier ce fil conducteur, et il n'y réussit pas toujours, son travail n'est pas complet.
Dans le cas qui nous occupe, Nomadland, ce qui tient le film ensemble, dans un fil conducteur, c'est l'érosion de l'importance du lieu. Ce qui disparaît, ou tend à le faire, c'est un lieu spécifique, un lieu particulier, un home, un chez soi. Le mode de vie de Fern, délibérément choisi jusqu'à un certain point, est un miroir du traitement qu'accorde Amazon lui-même aux lieux : comme un problème qui peut être résolu par un transport standardisé et uniformisé. De moins en moins, nous nous procurons nos biens et produits d'un magasin ou fournisseur local ou même d'un centre d'achat des environs. Ces biens et produits nous parviennent de plus en plus de lieux éloignés et sans rapport de proximité avec nous.
Ainsi la vie de Fern est le miroir des affaires d'Amazon : le lieu spécifique, au final, n'est pas important, ou seulement une variable dont on doit tenir compte, pour éventuellement l'éliminer. Entre nous et nos produits, il n'y a pas de liens, ou en tout cas, pas de lien géographique. Nos biens viennent de partout, c'est-à-dire de nulle part.
Au début de notre commentaire, nous avions suggéré que le film était à la fois plus précis et plus large qu'un film militant sur le plan socio-économique.
Le film est en effet plus spécifique, dans le sens qu'il ne semble pas s'adresser à tout le système économique, mais seulement à une de ses dimensions, un peu comme Sorry We Missed You (2018) (Désolé de Vous Avoir manqué), qui se penchait sur les défis de la sous-traitance.
Dans Nomadland, on est placé devant des tendances socio-économiques qui nous transforment en nomades, sans domicile fixe, même si, pour la plupart d'entre nous, nous en avons encore un.
Mais le film est aussi plus large, parce qu'il s'adresse à de grandes questions, de questions qui ne peuvent que rester sans réponse, comme celle du sens de la vie, et de la vie au-delà des réalités économiques.
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