COMMENTAIRES ÉCLAIR AOÛT 2020

4 août 2020

La pandémie du coronavirus de 2020 a eu de multiples effets sur la production, la distribution et le visionnement de films dans le monde. À court terme, elle a rendu certains films plus disponibles pour le visionnement à domicile. Il n'est pas encore tout à fait clair si cela se révélera une tendance durable. Le fait que cette tendance se manifestait déjà avant la pandémie pourrait indiquer qu'il s'agit d'une tendance à long terme. Avant d'examiner les tendances générales qui vont au-delà des films particuliers dans cette section « Commentaires-éclair » du site, disons quelques mots sur nos objectifs dans cette section.

Dans d'autres publications sur ce site, nous avons souligné que, pour identifier les films sur lesquels nous faisons des commentaires spécifiques, nous devions regarder de nombreux autres films pour lesquels nous ferons des commentaires moins étendus.

Certains de ces films pourraient se prêter à une compréhension herméneutique, mais les contraintes de temps ainsi que d'autres facteurs rendent difficile de commenter de manière approfondie un grand nombre de films. De plus, beaucoup de films ne se prêtent tout simplement pas à l'analyse herméneutique.

Aussi, nous voulons éviter le risque suivant: si, en effet, l'herméneutique s’applique à tout et à n’importe quoi, alors elle court le risque de ne s’appliquer à rien du tout.

Ceci dit, voici néanmoins quelques commentaires limités que nous pouvons offrir sur une variété de films relativement récents. Nous sommes, dans ces cas, plus intéressés par les tendances générales que par les films en particulier.

Évidemment, quelques-uns des films brièvement mentionnés ici pourront, plus tard, céder la place à des analyses plus détaillées dans la section principale du Movie Shrink.

Parmi les films de fin 2018, 2019 et 2020 pour lesquels nous proposerons nos « Commentaires éclair », il y aura des films d'Amérique du Nord et d'autres régions du monde.

En regardant les films de 2018, 2019 et 2020, Le Movie Shrink pense, en effet, pouvoir identifier plusieurs tendances. On peut distinguer les tendances les plus difficiles à identifier de celles qui sont plus évidentes.

Dans les tendances plus difficiles à identifier, deux se détachent particulièrement : d'une part, les pressions contemporaines provenant des défis des contraintes de temps et de la transformation des médias, et, d'autre part, celles provenant de la dynamique de nos institutions.

Parmi les tendances les plus évidentes, que nous verrons plus tard, se trouve le thème séculaire de la tension et des relations entre les nantis et les démunis. Ce thème séculaire et durable du cinéma offre toutefois des développements particuliers dans les films des années plus récentes. L’un de ces développements concerne le thème de la situation des afro-américains aux États-Unis et, deuxièmement, la réévaluation du rôle des femmes dans les sociétés du monde entier.

Commençons donc par les tendances les plus difficiles à identifier.

La première de ces tendances moins évidentes est la question du temps, ou les pressions du temps dans nos sociétés contemporaines.

Le premier film qui vient à l'esprit dans cette catégorie est Sorry We Missed You (2019) de Ken Loach, un drame anglo-franco-belge qui a reçu de nombreux prix et qui raconte les pressions, en termes de temps notamment, exercées sur une famille britannique où le mari est fortement impliqué dans un programme de privatisation des services de livraison de colis, dans le cadre duquel il devient financièrement responsable des inévitables retards et problèmes d’horaire rencontrés. Par ailleurs, cette privatisation n'est pas aussi rentable que prévu pour lui, sans compter qu'il détruit sa vie de famille.

Une autre dimension de ce thème du temps est présentée dans The Hummingbird Project (2018), analysé dans notre section principale, un drame canado-belge qui apporte un autre angle aux pressions du temps. Ces pressions sont vues ici du côté des gagnants, où les personnages principaux planifient un stratagème pour gagner du temps dans les transactions boursières, pour gagner des millions de dollars. Mais, là aussi, le temps presse, car un plan rival pourrait être opérationnel avant le leur. C'est, littéralement, une course contre la montre.

Plus tôt, en 2016, un film de Bulgarie, Glory, suggérait que le problème du temps et des contraintes de temps étaient universelles. Dans cette histoire, un cheminot bulgare, après avoir trouvé de l'argent perdu sur les voies ferrées, remet cette importante somme au gouvernement, pour devenir ensuite un héros médiatique, un emblème de l’honnêteté. Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là, puisque les autorités lui prennent son ancienne et très fiable montre (appelée Glory) au profit d'une nouvelle montre numérique qui s’avère défectueuse, le tout orchestré par une responsable des relations médias sans scrupules, elle-même vivant de minute en minute sous les diktats de son téléphone portable.

En lien avec ce thème des pressions du temps, il y a le thème des changements dans le paysage médiatique, en ce début de premier siècle du millénaire.

The Hunt, un film d'horreur-thriller américain du début de 2020, ne laisse pas grand-chose à interpréter, car il ne fait que pousser plus loin l’image des tensions culturelles existantes en Amérique, où les élites culturelles sont ici présentées comme chassant des rednecks dans un parc, sous l'influence de guerres médiatiques qui ont commencé sur Internet.

Un autre film américain, A Beautiful Day in the Neighborhood (2020), présenté dans notre section principale, décrit une époque où les médias étaient plus bienveillants, et même gentils, et où la star d’une émission pour enfants, l’aimable et sympathique Fred Rogers, était tout le contraire d’un internaute agressif et haineux sur le web. Le film nous laisse comprendre jusqu’à quel point nous nous sommes éloignés de cette époque plus paisible.

Dans notre deuxième catégorie de films plus difficiles à comprendre , se trouve le thème des institutions.

Ce thème des institutions peut paraître un peu trop abstrait pour des films de fiction, mais le Movie Shrink est convaincu qu'ils sont bien présents, ne serait-ce que de manière indirecte.

First Cow (2019), présenté dans notre section principale, peut être vu comme un film sur la naissance d'un cadre institutionnel dans des conditions primitives. Le film raconte la vie quelque peu primitive et difficile dans une colonie de l'Oregon au début du XIXe siècle, où les deux personnages principaux volent à un fonctionnaire administratif le lait de la seule et unique vache de la colonie. Dans ce film, les éléments fondateurs de la vie institutionnelle sont composés d'un amalgame d'éléments différents et quelque peu primitifs: intimidation physique, peur, vengeance, châtiments corporels, justice auto-administrée, mais tempérée par les pouvoirs publics émergents et les règles de base d’une économie de marché.

Même lorsque les institutions sont bien installées et stables, elles peuvent cacher certains éléments plus primitifs et non reconnus. C'est le cas dans Everybody Knows d'Asghar Farhadi (2018), analysé dans notre section principale. Le film traite entre autres de la mère de toutes les institutions, le mariage. Une célébration de mariage dans l'Espagne rurale se révèle être moins une célébration et plus une opportunité pour revisiter certaines fondations fragiles de la famille de la mariée. Sous le vernis des institutions, se cachent de sombres secrets et des vérités trop longtemps éludées.

Une autre dimension des institutions est suggérée dans It Must Be Haven (2019) d'Elia Suleiman. La dimension sous-jacente ici est la suggestion que les institutions et la vie institutionnelle, une fois établies, atteignent une certaine automaticité et une certaine permanence, au point qu'elles peuvent, jusqu'à un certain point, échapper à la réalité. Cette histoire tourne autour d'un cinéaste palestinien qui recherche du financement pour ses films en France et aux États-Unis. Il ne trouve pas le financement qu'il souhaite, mais le film nous fait voir qu’il est témoin de certains traits institutionnels devenus imperturbables dans les pays qu’il visite pour son financement, comme la haute couture et le chic hautain qui semblent imprégner toute la vie sociale parisienne, alors que les sirènes de police et la violence endémique sont omniprésentes dans la ville américaine qu'il visite. Suleiman n'est pas plus tendre avec sa propre patrie palestinienne, où les personnages ont leurs propres habitudes bien établies , et pourtant dysfonctionnelles, allant parfois jusqu’au ridicule . La vie institutionnelle, une fois établie, est difficile à changer. Nous reproduisons mécaniquement nos institutions sans les remettre en cause.

Passons maintenant aux thèmes récents plus facilement identifiables, qui peuvent être résumés par la notion de relations entre les nantis et les démunis.

Deux des films les plus célébrés de ces dernières années ont abordé ce thème incontournable. Il est révélateur que les deux films aboutissent à la violence, un témoignage de la force des tensions entre les nantis et les démunis.

Joker de Todd Phillips (2019), thriller psychologique, raconte le combat du personnage principal, le Joker, un comédien raté, contre les riches de sa ville. Parasite (2019) met en scène une version sud-coréenne des tensions entre les nantis et les démunis. Ici, dans le cas sud-coréen, les tensions entre la famille aisée et la famille pauvre ne s'accompagnent pas d'une fracture culturelle, comme c'est le cas aux États-Unis, comme en témoigne par exemple The Hunt. Bien au contraire, les deux familles sud-coréennes en conflit ont à peu près les mêmes fondements culturels, comme en témoigne le fait que la famille pauvre peut usurper la place de la famille riche et même participer à l'éducation de ses enfants. Un autre trait sud-coréen est que, dans Parasite, les inégalités économiques ne sont pas tant entre individus qu'entre familles, ce qui confirme le point de vue du politologue et sociologue Francis Fukuyama, exprimé dans son livre classique de 1995 Trust, où le succès économique de la Corée du Sud était attribuable, dans un premier temps, aux succès de la cellule familiale comme entité de production.

Les tensions entre les nantis et les démunis ont récemment connu des dimensions contemporaines supplémentaires, la plupart présentes en Amérique du Nord.

En effet, en Amérique du Nord, il y a deux thèmes qui ont récemment retenu notre attention: les films sur l'expérience des afro-américains, d'une part, et les films sur la montée de la conscience féminine, d'autre part.

Dans le cas de l'expérience des afro-américains en Amérique, les films qui abordent cette question sont souvent assez simples et n'ont pas besoin de beaucoup d'interprétation du Movie Shrink. C'est le cas de The Green Book (2018), If Beale Street Could Speak (2018), Moonlight (2016) et Ma (2019). Dans le cas de Get Out (2017), sorti plus tôt, il peut y avoir davantage d'éléments implicites, qui doivent être examinés. Par exemple, le fait que des Noirs, dans la maison de la compagne blanche du héros, soient kidnappés pour utiliser des parties de leur corps, est très intriguant et exige un second regard. Le message implicite, l'éléphant derrière le film, pour ainsi dire, pourrait être que les Noirs sont, certes, intégrés à la société américaine, mais qu’ils ne le sont que dans des rôles spécialisés, pas ,bien sûr, comme des parties du corps au sens propre, mais dans des rôles très circonscrits, comme musiciens ou sportifs, par exemple. Le plus récent Us (2019), du même réalisateur, est plus difficile à déchiffrer, et nous essaierons de faire ce travail plus en détail dans notre section d’analyses détaillées. Cette histoire d'une famille noire attaquée par une autre famille noire, exactement semblable à elle-même, alors qu'elle est en vacances dans sa maison d'été près de la plage, est très intrigante. Il est difficile d'identifier l'éléphant derrière le film. Mais parce que les familles blanches font face au même danger de la part de familles blanches, également identiques à elles-mêmes, dans le petit village de vacances, il semble opportun de délaisser une interprétation exclusivement raciale du film. Les images finales des assaillants, en noir et blanc, se tenant la main pour traverser l'Amérique d'un océan à l'autre, suggèrent que pour trouver une certaine harmonie, nous devons d'abord affronter nos démons, nos tensions sociales. C’est-à-dire les tensions entre les nantis et les démunis, et pas seulement entre noirs et blancs. C’est ce que le film suggère.

Toujours sur des films produits récemment qui traitent des inégalités, The Favorite (2018) et Mary, Queen of Scots (2018) poursuivent tous les deux dans la riche veine de la réévaluation du rôle des femmes dans la société, thème très présent ces dernières années. Un aspect plus récent de cette réévaluation, présent dans les deux films, est peut-être que la rivalité est moins exclusivement entre hommes et femmes qu’entre, parfois, entre femmes et femmes. Ce constat n'est peut-être pas bien accueilli par tous, mais il découle de l’interprétation de certains des films récents sur le sujet. Que cet élément soit un signe de progrès ou de recul n'est pas tout à fait clair.

Avec cela, nous concluons notre entrée du 4 août 2020 dans cette section des Commentaires éclair.

Traductions de l’anglais : Georges Mercier