PUPILLE
20 juin 2020
(In Safe Hands, titre utilisé en anglais)
Les agences de protection de la jeunesse, à l’image de bien des organisations et services gouvernementaux, sont souvent critiquées et malmenées dans l’opinion publique et les médias. Ce film dresse un portrait très différent de ces services, tout au moins tels qu’ils apparaissent en France.
Jeanne Herry, France 2019, avec Sandrine Kiberlain et Gilles Lellouche.
INTRODUCTION
Ce film provenant de France, centrée sur le rôle joué par les services sociaux gouvernementaux dans le processus d’adoption, appelle la question suivante : à quel point cette histoire est-elle française ou, inversement, universelle ?
Même s’il pourrait s’avérer que sa thématique comporte un aspect universel, commençons par considérer le film comme une production portant sur le cas français.
Premièrement, il y a un éléphant dans la pièce ou, plutôt, un éléphant dans le titre : le terme de « pupille », dénotant un enfant dépendant d’adultes, est généralement lié à l’État. En effet il réfère souvent à l’expression « pupille de l’État », c’est-à-dire un enfant sous la supervision, généralement temporairement, de l’État français.
L’HISTOIRE
(ceci est une alerte aux divulgâcheurs : ne pas lire cette section si vous souhaitez connaître l’histoire uniquement lors du visionnement du film).
Une jeune mère célibataire laisse son nouveau-né en adoption. Le moment n’est simplement pas propice pour celle-ci de prendre la responsabilité d’un enfant. Par ailleurs, une célibataire déjà quarantenaire, envisage la possibilité d’accueillir un nouveau-né chez elle. Elle se trouve sur la liste des candidats pour devenir parents depuis de nombreuses années. Les couples mariés sont évalués plus positivement qu’elle (célibataire) par l’agence publique, mais le couple classé juste en avant d’elle sur la liste se désiste au dernier moment, lorsqu’il apprend que l’épouse est elle-même, contre toute attente, enceinte. Dans une vision contrastant de manière marquée avec la vision contemporaine du gouvernement comme entité incompétente et trop bureaucratique, les services sociaux sont présentés dans ce film comme compétents et compatissants, assurant continuité et stabilité dans la vie peu stable des individus évoluant dans la société civile. Ne considérant pas uniquement les individus d’un point de vue strictement bureaucratique, les fonctionnaires des services d’adoption sont attentifs aux besoins émotionnels et aux droits (à la confidentialité, par exemple) de ceux-ci. Ils vont bien au-delà du simple respect de l’État de droit : ils sont véritablement compatissants. Même l’application des procédures bureaucratiques apparaît pleinement justifiée et réalisée avec circonspection.
Ce n’est pas tant que les individus de la société civile ne sont pas responsables, c’est plutôt qu’ils sont, au final, humains. Les couples se font et se défont; le changement et un certain degré d’incertitude sont le lot des parcours individuels. Pourtant, personne n’est pointé du doigt comme un exemple d’échec irrémédiable, à l’exception d’un homme voulant devenir parent mais clairement inapte à le devenir, qui est tout de même rejeté avec diplomatie par les fonctionnaires perspicaces de l’agence gouvernementale.
Lorsqu’on les considère du point de vue de leurs vies individuelles, les fonctionnaires du service public d’adoption ne sont pas eux-mêmes, dans le film, toujours immunisés contre les aléas de la vie privée, bien que ces éléments personnels n’aient pas d’impact sur la qualité de leur travail. C’est comme si les devoirs de leur charge transcendaient leurs circonstances privées, comme s’ils s’élevaient à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes quand ils se trouvent devant leurs devoirs publics.
L’ANALYSE DU MOVIE SHRINK
Ceux qui se sont penchés sur l’appareil public français, notamment Philippe d’Iribarne dans son grand succès de 1989, La logique de l’honneur, ont noté cette tendance particulièrement française à tenter de répondre aux exigences les plus élevées de ses responsabilités comme fonctionnaire de l’État. Sans idéaliser la bureaucratie française, les faillites de laquelle ont été abondamment documentées au cours des derniers siècles, et sans se voiler la vue devant les inévitables cas de corruption et d’incompétences présents dans tout contexte bureaucratique, il se trouve néanmoins en France une certaine idée du devoir, du sens de la mission qui incombe aux serviteurs de l’État.
Alors que toute l’attention est portée sur la sphère de la mondialisation et du niveau global, d’une part, et sur les inévitables et supposées harmonieuses relations que nous entretenons avec nos proches (les loved ones comme on les appelle aux États-Unis), d’autre part, c’est au niveau de l’État traditionnel et des services publics que se trouvent souvent les solutions à nos défis et problèmes de tous les jours. Ce film pourrait très bien constituer un rappel à cette réalité, à savoir que le rôle des services publics est toujours pertinent et que, en attendant un monde plus parfait, on a besoin de recourir à son aide. Avec la pandémie de 2020, nous ne pouvons que prendre conscience à nouveau de cet état de fait.
Quelques décennies plus tôt, au Québec (Canada), les enfants des intellectuels célèbres ayant signé le Refus global (un manifeste protestant contre la présumée « Grande noirceur » de l’époque duplessiste) sont sortis de l’ombre en affirmant que leurs célèbres et héroïques parents, signataires du document sacré, étaient eux-mêmes moins que parfaits, à tout le moins, dans leurs devoirs parentaux. C’était une manière inhabituelle de considérer un groupe d’intellectuels et d’artistes célèbres, auteurs d’un texte québécois fondateur et quasiment sacré.
Dans le même esprit, des jeunes hommes, ayant passé par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), organisation québécoise venant au secours des jeunes et des familles problématiques, ont fortement critiqué un documentaire mettant en lumière les échecs de cette agence. Au contraire, ces jeunes hommes affirmaient que la DPJ les avait beaucoup aidés dans leur parcours difficile, critiquant ainsi la vision unilatérale et fortement critique véhiculée par le documentaire. La liberté d’expression, quand elle est vraiment libre, mène parfois à des résultats inattendus.
L’ÉLÉPHANT DERRIÈRE LE FILM
Le véritable sujet de ce film n’est pas, pour autant, l’éloge des services publics. Il constitue simplement le rappel d’une réalité inévitable : le niveau qu’on appelle bureaucratique, celui des services sociaux par exemple, peut contribuer, à travers ses activités, à améliorer les choses, bien que ses activités soient limitées et temporaires. Ni plus ni moins. Bien que le film Pupille ait une saveur définitivement française, puisque la taille proportionnelle du secteur public français est considérable, il n’est pas sans trouver écho, aussi, dans d’autres pays développés, exposés comme ils le sont aux faillites et échecs de la famille nucléaire.
Nous comptons sur les services publics, bien qu’ils soient critiqués et considérés parfois comme ayant perdus leur pertinence face à des ensembles plus larges, comme ceux issus de la globalisation. La conclusion derrière ce film, c’est que nous avons toujours besoin, du moins pour le moment, de ces organisations publiques, au-delà des images que nous pouvons avoir d’elles.
Traductions de l’anglais : Georges Mercier