LE MARIAGE DE ROSA

13 septembre 2021

Ne nous laissons pas être trompés par l’humour de cette comédie, qui raconte l’histoire de Rosa, une couturière dans la quarantaine, qui décide d’organiser son mariage… avec elle-même. Mais que se passe-t-il donc dans nos sociétés contemporaines pour même imaginer un tel scénario ? Le Movie Shrink en dégage quelques pistes.

Le mariage de Rosa, comédie dramatique produite en Espagne, de la réalisatrice Iciar Bollain, ancienne actrice elle-même. Le film a reçu plusieurs nominations au Goya Awards de 2020.

L’histoire

C’est l’histoire d’une tranche de vie de Rosa, une couturière pour un studio de cinéma en Espagne, célibataire, qui commence à en avoir assez de tout ce qu’on exige d’elle au travail comme dans sa vie privée, alors qu’elle tente de répondre aux attentes de tous, son frère qui veut qu’elle garde ses enfants, sa meilleure amie qui lui demande de garder ses chats avec, en plus, toutes les demandes urgentes de son employeur.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase arrive quand son père, veuf, lui annonce son projet d’aller vivre le reste de ses jours chez elle, chez Rosa.

Devant ces demandes incessantes, elle projette de quitter la ville et d’aller faire revivre l’entreprise de couture de sa mère défunte, dans une ville côtière près de la plage de Benicassim.

Mais, elle a un autre projet dans ce déménagement anticipé. Elle compte y organiser la cérémonie de son mariage…avec elle-même. Elle demande même à son père de lui donner l’équivalent de l’aide financière qu’il a donnée à ses autres enfants lors de leur mariage à eux !

Le mariage a lieu, sur la plage, le mariage de Rosa avec elle-même, auquel assistent, incrédules, les membres de la famille élargie. Les plus estomaqués sont les membres les plus âgés de la famille, qui n’en croient pas leurs yeux, devant cette Rosa, qu’ils croyaient connaître.

L’analyse du Movie Shrink

Il y une statistique qui est présente dans les sondages et les recensions des différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord, à l’effet que les « ménages » comptent de plus en plus de résidences comportant une seule personne. Cette proportion augmente régulièrement depuis plusieurs décennies, et atteint maintenant bien au-delà de 25 % des ménages dans plusieurs pays.

Au Japon, il y a une tendance récente parmi les jeunes femmes, celle de ne pas avoir l’intention de se marier ni même de trouver un partenaire de vie.

Il est vrai par ailleurs, pour revenir aux statistiques globales, qu’elles reflètent en partie le vieillissement de la population et la présence de nombreuses personnes âgées, veufs et veuves, qui vivent seules.

Mais il se passe autre chose encore, et il y a des éléments qualitatifs derrière ces statistiques globales et le film reflète ces éléments qualitatifs.

Il y a bien sûr une dimension féministe à cette histoire, l’histoire d’une femme qui veut s’affranchir de son rôle d’aidante pour tout le monde, en s’oubliant trop souvent elle-même.

Mais c’est aussi l’histoire de notre société contemporaine, où l’individualisme permet de se voir détaché de tout groupe de référence, ce qui permet à Rosa de même imaginer la possibilité de se marier avec elle-même.

Comme quoi nos films reflètent des réalités contrastantes. Si certains se réjouiront du fait qu’on présente une Rosa qui s’affranchit, les mêmes personnes pourraient se désoler qu’elle soit aussi mue par des courants socio-économiques individualisantes pour le faire.

Tout se passe ici comme si les réalités qui nous entourent ont besoin de plusieurs dimensions pour exister, un peu comme dans le monde physique où, pour exister, il doit y avoir une dimension de largeur, de hauteur, de profondeur et d’un espace-temps.

Quelles peuvent donc être ces autres dimensions de ce film intrigant?

Il pourrait y avoir une dimension espagnole, dans le sens que les sociétés du Sud de l’Europe, peut-être encore plus attachées à la famille, se sentent encore plus éclatées par les politiques publiques contemporaines qui renvoient de plus en plus aux dynamiques individuelles. C’est déjà le cas, même pour des sociétés moins traditionnelles, comme le souligne David Goodhart, dans son étude de la société anglaise contemporaine, The Road to Somewhere ( 2017).

Déjà, dans le film Tout le monde le sait de 2018, on présentait la famille espagnole comme fondamentale, mais tiraillée tout de même par des tensions et conflits d’aujourd’hui.

DANS UNE VISION PLUS LARGE

La compréhension de ce film nous amène à constater que des phénomènes contemporains qu’on considère comme positifs et souhaitables, comme l’affranchissement de Rosa, peuvent être aussi portés par des réalités dont il est plus difficile à évaluer comme étant positives, comme ici, l’individualisation de nos patterns de consommation, qui sous-tend la libération de Rosa.

Dans le même souffle, la famille espagnole traditionnelle se trouve particulièrement interpellée dans ses fondements par tout ce qui sous-tend nos courants socio-économiques, supportés, dans le cas espagnol, par l’intégration européenne.

Tout ce mélange se retrouve chez Rosa, qui veut se marier avec elle-même