SOUND OF METAL

23 décembre 2020

Sans aucun doute, ce film représente exactement ce que le Movie Shrink a en tête lorsqu’il cherche des films significatifs qui requièrent une interprétation et une compréhension plus profonde. Par-delà l’histoire d’un musicien perdant l’ouïe, c’est, plus fondamentalement, un film à propos de l’équilibre entre nos sens.

Le film prend pour point de départ un duo de heavy metal en tournée sur des scènes de second rang aux États-Unis qui apprend éventuellement que le batteur a perdu son ouïe. Les dernières scènes du film se déroulent pourtant en Europe, dans un quartier assez confortable et élégant de Bruxelles. Très intriguant, en effet.

Sound of Metal, drame musical américain, première réalisation de Darius Marder, produit en 2019, présenté au festival international du film de Toronto en septembre 2019 puis au festival américain du film en 2020, et sorti pour accès limité en novembre 2020.

L’HISTOIRE

(ceci est une alerte aux divulgâcheurs : ne pas lire cette section si vous souhaitez connaître l’histoire uniquement lors du visionnement du film).

Un couple d'interprètes de heavy metal, appelé Backgammon, composé de Ruben, le batteur, et de Lou, sa partenaire et chanteuse d'origine européenne, parcoure des scènes de second ordre à travers les États-Unis dans leur véhicule récréatif, qui est aussi leur maison mobile et leur studio.

Leur installation et les lieux dans lesquels ils se produisent sont assez modestes et bas de gamme.

Ruben, ancien héroïnomane, est clean depuis quatre ans, et sa compagne, Lou, a joué un rôle déterminant dans son cheminement pour se libérer de l’emprise de la drogue.

En visitant un magasin de souvenirs d'occasion, Lou sent qu'il a perdu une partie de son audition

Après une visite chez un médecin spécialiste des problèmes d'audition, on lui dit que le problème est grave, que son audition normale ne sera pas complètement rétablie, et qu'un implant cochléaire, pour en restaurer une partie, coûterait entre 40 000 et 80 000 dollars.

N'ayant pas l'argent nécessaire pour l’opération, il lui reste la possibilité d'apprendre la langue des signes. Ruben s’inscrit donc dans un centre subventionné pour toxicomanes sourds en convalescence, pour apprendre cette langue sous la tutelle de Joe, un vétéran du Vietnam qui a perdu l'ouïe suite à l'explosion d'une bombe sur le champ de bataille. Joe amène Lou à évoluer et à accepter sa nouvelle situation, apprenant, entre autres exercices, à exprimer ses accès de violence par l’écriture.

Après avoir atteint un certain succès sous les conseils et la tutelle de Joe, Lou choisit une autre voie, vendant son VR et utilisant le 26 000 $ ainsi obtenu, pour un premier paiement pour l'implant cochléaire.

L'implant connaissant un relatif succès, Ruben décide de rendre visite à son ancienne partenaire et compagne Lou. Après la rupture forcée du duo, celle-ci était retournée chez son père en Europe, à Bruxelles, où son père vit dans des circonstances assez bourgeoises, en contraste avec l'environnement que Ruben a connu ces dernières années, à la fois en tournée et au centre de récupération subventionné.

Réalisant que les choses ne seront plus jamais les mêmes, Ruben quitte les lieux en partant tôt le matin, avec ses sacs, et le film se termine lorsque Ruben, peu après avoir quitté la maison, regarde devant le jour qui se lève les scènes du réveil de Bruxelles. Les activités matinales de celle-ci donnent toutes les apparences d'une ville idéale, située dans un environnement sophistiqué et riche.

Entendant les cloches de l'église voisine, Ruben enlève son appareil auditif, s’étend sur son banc de parc et profite du paysage, sourire aux lèvres.

L’INTERPRÉTATION DU MOVIE SHRINK

Dans la scène d'ouverture du film, Ruben joue furieusement à la batterie pendant une performance musicale.

Bien sûr, on a vu mille fois ce type de performance, à la télévision, dans les films ou durant un spectacle. Néanmoins, il est bien évident que ce battement intense et endiablé de la batterie est insoutenable dans la vraie vie, à l'extérieur des performances musicales. En un mot, cela apparaît déséquilibré. Et le fait que nous soyons habitués à voir de telles scènes ne change rien à leur caractère extrême et déséquilibré.

Il n’est pas surprenant que des bruits aussi forts, répétés au fil des années, puissent avoir de graves conséquences sur la capacité auditive. C’est sans doute ce qui est arrivé à Ruben.

Mais, y a-t-il là autre chose, se demande le Movie Shrink?

Oui.

Il y a une notion, plus ou moins consciente, à l’effet qu'il existe une sorte d'équilibre sensoriel nécessaire au bon fonctionnement de tout être humain. L'expression « bon sens » réfère à cet équilibre, ne serait-ce que de manière indirecte. Ruben est allé bien au-delà de cet équilibre sensoriel en battant furieusement les tambours, tous les jours et toutes les nuits.

Le vrai sujet du film concerne peut-être le déséquilibre, le déséquilibre sensoriel, au départ, et probablement, par extension, d'autres déséquilibres. Une fois que nous avons atteint ce déséquilibre, il est nécessaire de le réparer, c’est-à-dire de revenir à une forme d'équilibre.

Mais y a-t-il encore plus à cela, quelque chose d’autre ?

Le contraste entre la tournée à petit budget du duo et les maigres moyens du centre communautaire subventionné que Ruben fréquente, d'une part, et l’élégance des lieux, harmonieux , de Bruxelles, d'autre part, représente un autre contraste révélateur.

Se déroulant très précisément à la toute fin du film, les scènes harmonieuses de Bruxelles semblent nous dire quelque chose.

Mais quoi?

LA SOCIÉTÉ DERRIÈRE LE FILM

Parfois, et même souvent, les choses sont dites indirectement parce qu'elles sont difficiles à regarder directement.

Dans ce cas, la suggestion du film c’est que l'Europe est peut-être restée plus proche d'une sorte d'équilibre, d'une sorte d’harmonie, contrairement à l'Amérique du Nord, plus sujette au déséquilibre et aux extrêmes. Ces extrêmes ne sont pas tant politiques que culturels, mais ils peuvent atteindre le politique avec le temps.

La vieille Europe a gardé un sens de l'équilibre. C'est ce que suggère le film. Le nouveau doit s’insérer dans l'ancien, en Europe. L'Amérique, plus soumise aux oscillations de la nouveauté et manquant souvent de tradition pour tempérer celle-ci, peut parfois perdre l'équilibre et le bon sens collectif.

C'est l'histoire que le film raconte.

Traductions de l’anglais : Georges Mercier