THE DEAD DON’T DIE
10 août 2020
(Les morts ne meurent pas, titre utilisé au Québec)
Un film d’horreur peut être significatif, par-delà ses évènements improbables et sa violence systématique. Il semble que ce soit le cas avec ce film de zombies.
Un film d’horreur réalisé par Jim Jarmush. États-Unis, 2019.
INTRODUCTION
La réception de ce film d’horreur était prévisible : la critique fut, en effet, très divisée lors de la présentation de ce film au Festival de Cannes de 2019.
Ce film constitue-t-il un exercice de style, un essai de genre, ou porte-t-il une certaine signification, un certain sens ? Le Movie Shrink croit en la dernière option. Par-delà les douzaines de têtes décapitées dans le film, sans doute un record, se tiennent liés ensemble des éléments qui sont cohérents et pointent dans une certaine direction.
L’HISTOIRE
(ceci est une alerte aux divulgâcheurs : ne pas lire cette section si vous souhaitez connaître l’histoire uniquement lors du visionnement du film).
L’histoire se déroule à Centerville, décrite par un panneau publicitaire sur l’autoroute y menant comme un « endroit vraiment bien ». Centerville, tout imprégnée de la culture des années 60 (une de ses principales attractions étant un diner nostalgique, un restaurant kitch, où l’on peut apercevoir un de ses clients portant une casquette proposant de « Make America White Again ») , apparaît figé dans le temps, quelque part au début des années 60. Puis, se trouve l’ermite Bob, figé dans une époque plus ancienne encore, vivant à la frontière de la ville, et survivant en volant des poulets à l’habitant portant la casquette « Make America White Again ». La scène d’ouverture voit d’ailleurs le chef de police, Cliff Robertson (Bill Murray), investiguer de manière minimale le dernier vol de poulet de l’ermite Bob, ne dépassant toutefois pas les exigences d’une enquête minimale, sans condamnation ou peine, ce qui mène à la perpétuation du statu quo et des vols de poulets.
Dans quelques-unes des premières scènes, il semble que le temps soit déréglé, alors que des montres fonctionnent mal et que la lumière du jour s’étend dans la nuit de manière inhabituelle. Plus encore, les téléphones et télévisions ne sont pas pleinement fiables à Centertown. Il semble que se trouve là un problème généralisé avec le temps.
Des individus jeunes et à la mode arrivent depuis une grande ville dans Centerville dans une voiture vintage, regardant Centerville et ses habitants de haut. Mais, à leur grand étonnement, ils apprennent, en parlant avec le pompiste, qu’ils en connaissent peut-être moins à propos de l’histoire du cinéma que lui. Le pompiste se révèle être un spécialiste des films de zombies, un élément qui deviendra utile plus tard dans le film.
À l’autre opposé de l’ermite Bob, temporellement, se tient Zelda Winston (Tilda Swinton), une experte en soins funéraires, croque-mort de sa profession, venue récemment de l’extérieur de la ville et vivant de manière différente des habitants de Centerville. Elle pratique de façon experte, par exemple, le yoga dans son bureau, jusqu’à ce qu’elle soit elle-même affectée par la renaissance des morts dans le cimetière de Centerville. À la toute fin du film, elle confirmera son indépendance de Centerville quand un vaisseau spatial la mènera loin du carnage sévissant dans la ville. Les zombies triompheront éventuellement, alors que le chef de police Robertson et ses assistants sont attaqués par un nombre croissant de ceux-ci près du cimetière.
Le film présente un aspect comique, avec des dialogues déjantés du chef de police devant ces circonstances dramatiques, comme si lui et les autres victimes du drame étaient déphasés face à l’ampleur du drame que représente l’apparition d’agressifs et menaçants zombies, venant du monde des morts.
L’ANALYSE DU MOVIE SHRINK
Ce qui ressort du film, ce ne sont pas tant les zombies et la violence autant que le fait que la ville, Centerville, met en scène un contraste de zones temporelles et culturelles différentes. Les voitures, par exemple, y marquent un important contraste, avec des véhicules ultramodernes (une Smart, un véhicule électrique et même un vaisseau spatial) côtoyant, sur le plan de la mobilité, des véhicules plus anciens (une camionnette, une voiture de police banalisée). Somme toute, Centerville nous apparaît comme vivant à une autre époque, avec son diner des années soixante, sa rue principale semi-abandonnée, l’ermite Bob et le panneau publicitaire annonçant un « endroit vraiment bien ». Évidemment, les jeunes venus de l’extérieur ne croient pas en l’esprit de la ville et la regardent de haut, bien qu’ils ne soient pas, eux-mêmes, si éloignés de celle-ci qu’ils aimeraient le croire. L’experte en soins funéraires, Zelda Winston, vue comme une immigrante vaguement européenne ou anglaise, sort définitivement du lot par son appartenance à une autre zone culturelle et temporelle que celles de Centerville. Zelda est d’ailleurs la seule survivante aux attaques de zombies, sauvées par des extraterrestres provenant, bien entendu, d’une autre dimension temporelle. La coexistence d’individus appartenant à des zones culturelles et temporelles différentes, incluant au premier chef les zombies eux-mêmes, apparaît être l’élément unifiant du film.
L’ÉLÉPHANT DERRIÈRE LE FILM
En réalité, ce film raconte une histoire à propos du temps et, plus précisément, une histoire à propos d’individus appartenant à différentes époques, mais cohabitant malgré tout à une même époque. À l’image des zombies, des endroits comme Centerville, des « endroits vraiment bien », survivent malgré que l’évolution culturelle et temporelle les aient rendus dépassés, en quelque sorte, insignifiants. Puisque le village global (l’expression consacrée de McLuhan) nous intègre tous à une même époque, simultanément, à travers nos médias contemporains, nous sommes plus ou moins conscients de ces contrastes. Les éléments du passé et du présent vivent côte à côte, certains pleinement vivants, d’autres dépassés, et même morts, mais toujours vivants, comme des zombies. Le film nous fait prendre conscience de ces décalages.
Le monde, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États-Unis, est probablement plein d’endroits comme Centerville, plusieurs économiquement dépassés, d’autres culturellement, d’autres encore politiquement (les États dits « faillis »), mais survivant toujours, à l’image des zombies, ni pleinement vivants, ni complètement morts.
Là se situe l’histoire implicite de ce film.
Traductions de l’anglais : Georges Mercier