LE DIABLE N’EXISTE PAS

1 décembre 2021

Le film est d’autant plus révélateur qu’il a dû être tourné en secret, tellement son propos est sensible et dérangeant. Comment ce film révèle-t-il des choses nouvelles à propos de l’Iran, tout en se situant dans une certaine tradition cinématographique déjà bien établie ?

Drame iranien du réalisateur Mohammad Rasoulof, sorti sur les écrans en 2021, ayant reçu le prix d’Ours d’or au Festival de la Berlinale de 2020.

L’HISTOIRE

Il faudrait plutôt parler d’histoires (au pluriel) puisque le film raconte en fait quatre histoires, mais dont le point commun est l’obligation, pour des citoyens, surtout des jeunes hommes faisant leur service militaire, de participer à des exécutions, des mises à mort, qui sont souvent des exécutions politiques.

Car la peine de mort existe toujours en Iran.

La première histoire nous ne montre pas, cette fois, un jeune militaire, mais un citoyen tout à fait ordinaire, bon père de famille et fils attentif pour sa mère, dont le boulot consiste, la nuit, à actionner une commande qui a pour effet de faire pendre, mécaniquement, un groupe de condamnés.

La seconde histoire raconte le dilemme éthique d’un jeune en service militaire qui fait partie du service de « l’application des peines », mais qui refuse de participer à l’exécution à laquelle il est assigné. Son plan, qui est de fuir la caserne avant de remplir sa tâche, est réalisé avec succès et il réussit donc à fuir la prison pour rejoindre sa fiancée, qui l’attend à l’extérieur.

La troisième histoire raconte un épisode au cours de laquelle un soldat, lui aussi en service militaire qui, en obéissant aux ordres, participe à l’exécution d’un opposant politique, qui se révèle, il l’apprend par après, un héros pour sa fiancée et un grand ami de sa future belle famille.

La quatrième histoire raconte le mensonge qu’on a entretenu vis-à-vis une jeune étudiante en médecine concernant son vrai père, qui s’avère être un médecin qui a perdu son droit de pratiquer la médecine, suite à son refus d’exécuter les ordres de mise à mort durant son service militaire.

QUELQUES INTEPRÉTATIONS

Bien entendu, la plupart des analyses présentent ces histoires comme des dilemmes éthiques et moraux, auxquels sont confrontés des individus, surtout les conscrits dans le cadre d’un régime autoritaire. Voici en effet le fond des différentes histoires.

Pour Robert Abele du Los Angeles Times, le film va plus loin dans son exploration de ce que c’est réellement que de vivre en Iran aujourd’hui, au quotidien. Et c’est un progrès, selon lui, par rapport aux films iraniens qui formulent trop souvent leur critique du régime et de leur société à travers des films qui se limitent à « des allusions et des allégories mettant en scène souvent des enfants ou encore des histoires un peu vagues et non situées dans le temps ».

UNE INTERPRÉTATION PLUS LARGE

S’il est vrai que les films iraniens ont souvent évité de traiter directement des problèmes de régime, ils ont souvent traité des défis des relations interpersonnelles entre Iraniens eux-mêmes, que ces défis soient entièrement reliés au régime ou non.

C’est en effet le cas pour plusieurs films iraniens récents, et pas les moindres. C’est notamment le cas avec Une Séparation (2011) et avec Le Client (2016), du réalisateur Asghar Farhadi. Il est vrai par ailleurs que Farhadi a appliqué le même thème ailleurs qu’en Iran, dans un contexte espagnol dans son Tout le monde le sait (2018). Ces défis des relations interpersonnelles concernent souvent des relations économiques, des contrats, des engagements, des promesses de livrer, pas toujours tenues, très souvent sur un mode conflictuel. Bien entendu, ces relations potentiellement conflictuelles sont présentes partout dans le monde, et il est possible que les films iraniens y soient tout simplement plus attentifs qu’ailleurs.

Mais on peut quand même poser des questions.

Comment ces défis interpersonnels sont-ils reliés à des dynamiques qui les dépassent, à des dynamiques de régime, ou comment sont-ils sociétaux avant d’être politiques ? L’intensité religieuse, ou le militantisme qui y résiste (ce qui revient au même, dans un sens), s’invite-t-elle inopinément dans les contrats et les engagements de nature civile ?

Un peu comme on le fait pour des questions de science, quand on attend d’autres données avant de conclure, nous devrons attendre des éléments de réponses dans les films iraniens à venir.